« Lean in » ou le manifeste Sandberg pour un leadership au féminin décomplexé

Eve, Le Blog Actualité, Dernières contributions, Développement personnel, Egalité professionnelle, Leadership, Responsabilité Sociale, Rôles modèles

Comme nous vous l’annoncions hier, le blog EVE ouvre un grand chantier de travail sur le leadership au féminin à l’ère du numérique. Nous allons nous donner plusieurs semaines pour réfléchir avec vous sur les impacts de la révolution numérique sur le leadership au féminin : de quelles façons les NTIC transforment-elles les organisations et les cultures professionnelles (question également chère à notre programme “frère”, Octave)? Quelles opportunités ces nouvelles technologies offrent-elles aux femmes? Comment les femmes investissent-elles ce nouveau secteur et comment y font-elles leur place? Quel plus les NTIC sont-elles pour le leadership?

Nos travaux sur ce thème démarrent dès aujourd’hui, avec la lecture de Lean In, En avant toutes, le livre-événement de Sheryl Sandberg, paru en France pas plus tard qu’hier.

Nous l’avons lu avec passion et après en avoir tourné la dernière page, nous avons eu le sentiment fort que ce que la numéro 2 de Facebook a écrit, c’est bien plus qu’une autobiographie ou un simple essai sur « les femmes, le travail et le pouvoir » comme l’annonce son sous-titre. Ce qu’a écrit Sheryl Sandberg, c’est un authentique manifeste pour un leadership au féminin assumé et débarrassé de tous ses complexes.

Vif, intelligent, argumenté, riche d’anecdotes porteuses de sens et de réflexions d’une sincérité aussi convaincante qu’émouvante, Lean in est à mettre entre les mains de toutes les femmes qui hésitent à « s’imposer », par manque de confiance en soi et/ou par crainte d’en payer le prix fort.

Lean In, c’est un extraordinaire concentré d’énergie et d’optimisme, une vraie déclaration de leadership au féminin dont nous avons retenu 7 grands articles:

 

1. « Le plafond de verre » n’est pas que dans la tête des femmes

Lean In démarre sur les chapeaux de roue. D’emblée, Sheryl Sandberg s’attaque à la question numéro 1 du leadership au féminin : le « plafond de verre ».

Le plafond de verre serait passé de la résistance des hommes à la tête des femmes?

Longtemps considéré comme le symbole même de la guerre des sexes, de l’interdit informel fait aux femmes par les hommes d’accéder aux mêmes responsabilités qu’eux, le plafond de verre est aujourd’hui plutôt renvoyé à l’image que les femmes se font d’elles-mêmes, à la peur indépassable qu’elles ont de se faire valoir, au manque de confiance en elles qui les retient de vouloir prendre et garder le pouvoir. Le plafond de verre serait passé de la tête des hommes à celle des femmes?

Le plafond de verre se combat sur tous les fronts : en travaillant sur soi-même et en oeuvrant à transformer les organisations

Erreur! Dit Sheryl Sandberg. Oui, le plafond de verre est en partie dans la tête des femmes, il résulte de l’intériorisation de messages négatifs et stéréotypaux et il a pour socle solide la propre réticence des femmes à oser « vouloir » faire carrière. Mais il est aussi le fait de facteurs externes aux femmes, de véritables barrières qu’elles croisent sur le chemin de leur réussite et qui les retardent ou les empêchent carrément de progresser.

Alors, nous dit Sandberg, c’est « sur les deux fronts qu’il faut livrer bataille », en travaillant sur soi même et en oeuvrant à transformer la société, en prenant suffisamment confiance en soi pour avoir la force de faire changer les choses. C’est bien ça, le sens du leadership au féminin, ce qu’au Programme EVE, nous traduisons par « oser être soi pour pouvoir agir ».

 

2. Le leadership au féminin ne concerne pas que les femmes des milieux privilégiés

Il est cependant une critique classique faite aux actions de promotion du leadership au féminin : elles ne s’adresseraient qu’à une portion réduite de la population, à une catégorie de femmes privilégiées dont les aspirations seraient très éloignées des problèmes de pauvreté et de violences auxquelles d’autres femmes, partout dans le monde, font face.

Oui, il est plus facile de réussir à s’imposer dans des conditions de vie confortables…

Avec l’admirable humilité et la grande honnêteté qui traversent tout son ouvrage, Sheryl Sandberg défend cependant l’utilité de son message : certes, elle l’admet, il lui a été plus facile de « s’imposer » en venant d’un milieu aisé et en bénéficiant de conditions matérielles confortables. Pour autant, l’enjeu du leadership au féminin, nous dit-elle, n’est pas de faire de toutes les femmes des patronnes ou des membres de conseil d’administration – ce à quoi certaines d’entre elles n’aspirent pas, soit dit en passant – mais c’est bien de permettre à chaque femme, quelque soit sa situation, de faire les choix qui lui appartiennent, de mener les projets qui la mobilisent, de prendre en main sa destinée.

Mais l’enjeu du leadership au féminin est bien de permettre à chacun-e quelque soit ses conditions et ses origines, de se réaliser

Il s’agit de réussir une égalité des chances qui permette à tous et toutes, à tous les niveaux de hiérarchie, dans tous les milieux sociaux, d’être en mesure de faire ses propres choix et de pouvoir se donner les moyens de leur réalisation. 

 

3. Le manque de confiance en soi n’est n’est pas une maladie incurable

Difficile d’exprimer son ambition quand on est une femme?

Difficile pour les femmes d’exprimer une ambition, quand la société y voit là une audace atypique, quand ce n’est pas une forme d’arrogance, alors que ce n’est qu’un préalable valorisant pour les hommes. Difficile aussi de se débarrasser du complexe d’imposture et de l’attitude policée de la « bonne élève » qui ne se sent légitime à s’exprimer que quand on le lui prête la parole et uniquement si elle se sent parfaitement capable de ne dire que des choses justes et intelligentes. Difficile encore de dire « j’ai travaillé » ou « je l’ai mérité » avant de dire « j’ai eu de la chance » et « j’ai été très bien entourée », quand on se trouve couronnée de succès, comme si on voulait aussi s’en excuser.

N’attendez pas la confiance, précédez-la!

En effet, le premier obstacle que rencontrent les femmes qui veulent exprimer leur leadership mais ne l’osent pas, c’est la confiance en soi. Mais Sandberg nous le promet : ce n’est pas une maladie incurable! Un traitement de choc pour y remédier? Sandberg en propose un, redoutablement efficace : commencer par feindre la confiance en soi, jouer la comédie de l’assurance pour réaliser dans le regard de l’autre que l’on ne sonne pas faux dans le rôle, et que d’ailleurs finalement, on se sent assez bien dedans…

 

4. Leadership et capital sympathie peuvent faire bon ménage

« Me trouvera-t-on encore sympa quand je serai la chèfe? »

Sheryl Sandberg aborde un thème également chère aux femmes qui ont envie de s’imposer mais se restreignent de le faire : la peur d’être mal aimée, de perdre en « capital sympathie » et en popularité, à mesure qu’elles progresseront dans les échelons de la hiérarchie et seront nécessairement amenées à prendre des décisions fortes.

Des préjugés et de la popularité

Oui, nous dit Sandberg, il y a dans les perceptions du leader masculin et du leader féminin, de vrais préjugés sexistes : un homme qui sait trancher, faire preuve d’autorité est quelqu’un de charismatique et qui se fait respecter ; une femme dans la même situation est « agressive », « avide de pouvoir » et comble de l’ironie, on lui reproche de « se comporter en homme ». « Une femme, dès lors qu’elle est compétente, écrit sandberg, ne paraît plus assez aimable. Or, une femme aimable passe forcément pour plus aimable que compétente ». D’un autre côté, ajoute-t-elle, il est évident « qu’être apprécié constitue un facteur clé de la réussite à la fois personnelle et professionnelle ».

Apprendre à encaisser les critiques

Alors, comment faire? D’abord, apprendre à « encaisser les critiques », ce à quoi les femmes brillantes, souvent habituées au compliment scolaire durant toute leur formation ne se préparent pas : la critique sonne en elle comme une remise en question globale qui sème le doute sur leur valeur et les inquiète au-delà du contexte dans laquelle le commentaire négatif est formulé.

Considérer son leadership comme un bienfait

Ensuite, prendre l’habitude de défendre ses positions et ses intérêts en les considérant légitimes non seulement pour soi mais aussi pour la collectivité. Défendre sa place de leader, c’est non seulement affirmer qu’on souhaite l’occuper et qu’on en a la capacité, mais c’est aussi dire que le collectif a besoin d’être mené et que ce n’est pas dans les moments difficiles qu’il faut le lâcher.

Et après tout, à quoi bon vouloir faire plaisir à tout le monde?

Et sur le chapitre du capital sympathie, Sandberg de conclure par un mot de son patron, Mark Zuckerberg : « Quand on fait plaisir à tout le monde, c’est qu’on ne progresse pas assez ». Que les femmes fassent leur cette maxime sensée d’un des entrepreneurs les plus successful de sa génération!

 

5. Finissons-en avec la verticalité ! 

L’échelle contre la cage

On nous a longtemps présenté la progression professionnelle comme une échelle à grimper, marche après marche. En louper une est synonyme de chute. Ne pas parvenir à atteindre la suivante revient à stagner. A la métaphore de l’échelle, Sandberg préfère celle de la « cage à grimper », empruntée à la grande figure des médias américains, Pattie Sellers.

Oser faire un pas de côté, prendre des chemins de traverse

Alors, pour avancer, il y a soudain d’autres alternatives que descendre ou monter : il est possible de faire un pas de côté, de prendre des diagonales, d’aborder les arêtes escarpées par des chemins de traverse.

En appréhendant sa carrière dans d’autres dimensions que la hiérarchie verticale, ce sont des opportunités que l’on s’offre… Et des risques que l’on ose prendre : ainsi Sandberg elle-même raconte que c’est le choix d’un secteur en pleine ascension (les nouvelles technologies) plutôt que celui d’une ascension dans ses fonctions qu’elle a fait en rejoignant Google à un poste a priori moins prisé que celui qu’elle occupait jusqu’alors au département du Trésor américain. Un risque, oui, mais qui s’est avéré plus que payant, à l’arrivée!

 

6. Prévoir… Mais pas trop!

Anticiper : une qualité féminine…

Savoir prendre des risques est une vraie qualité de leader. Savoir anticiper en est une autre. Les femmes, nous dit Sandberg développent plus facilement la seconde que la première : prévoyantes, elles ont volontiers tendance à planifier. Y compris ce qui, parmi les aléas de la vie privée peut venir entraver, selon elles, une carrière.

… Ou un handicap que les femmes s’imposent?

Ainsi, Sandberg cite-t-elle le cas d’une jeune collaboratrice, ni en couple ni mère, qui s’inquiétait dès le début de sa vie professionnelle de ce que des éventuelles évolutions dans sa vie privée pourraient avoir comme effets sur sa progression et entendait s’organiser dès le départ pour tout réussir à concilier. Voilà une personne qui aura eu une conscience aiguë des problématiques d’articulation des temps de vie ! Mais qui, paradoxalement, toute à son anxiété, se sera aussi interdit de laisser l’existence la surprendre… Et de laisser les autres, à commencer par un éventuel partenaire de vie, considérer ces difficultés comme les leurs aussi. Non, dit Sandberg, ces questions-là, du choix du bon moment pour se mettre en couple, pour faire un enfant, pour déménager ne sont pas des questions « de femmes ». Ce sont des questions qui s’adressent à toutes et tous. Se les approprier, c’est comme s’approprier la cuisine pour en faire son domaine réservé et reprocher ensuite à son conjoint de ne pas savoir où se rangent les casseroles. Lâchons du leste pour mieux partager!

Pour en finir avec le « mythe de la capacité à tout concilier »

Et au passage, finissons-en avec le « mythe de la capacité à tout concilier » : non, personne ne peut tout avoir et tout bien faire. Oui, il y a des moments où des priorités s’imposent : parfois, la priorité, c’est la famille, parce qu’un événement particulier ou un enfant malade l’exigent ; parfois, c’est le travail, parce qu’il y a un dossier crucial à boucler, des problèmes urgents à traiter. Mais même quand un aspect de l’existence passe en priorité, tous les autres ne s’effacent pas derrière ni ne sont sacrifiés : on n’est pas une moins bonne mère parce qu’on checke ses mails dans la salle d’attente du pédiatre. On n’est pas une moins bonne pro parce qu’on quitte une réunion un peu plus tôt pour aller au spectacle de fin d’année. On ne peut exiger de soi la même performance en tout, à tous moments. Mais on peut passer d’un domaine de sa vie à un autre bien plus facilement et bien plus rapidement qu’on le croit, êtres de plasticité et d’adaptation que nous sommes par essence, hommes comme femmes.

 

7. Jouons la mixité!

Et si, d’ailleurs hommes et femmes, nous n’étions pas si différents que ça?

Quand ce ne sera plus atypique ni exotique qu’une femme soit PDG

Et si être une femme PDG n’avait rien de plus exceptionnel que d’être un homme PDG? C’est vrai, il a fallu pour y parvenir, se heurter à des difficultés spécifiques dont Sandberg a parlé tout au long du livre : le manque de confiance en soi, le syndrome de l’imposteur, les remarques sexistes aussi, parfois. Mais plus il y a de femmes qui les contournent ou les surpassent et parviennent au plus haut niveau (Sandberg de citer Marissa Mayer ou Susan Wojcicki parmi ses consoeurs leaders dans l’univers des nouvelles technologies) et plus il semblera incongru de rappeler que ce sont des femmes et plus il sera naturel de les considérer avant tout comme des personnes, avec leurs qualités, leur tempérament, leurs talents au-delà et indépendamment de leur genre

L’égalité, c’est plus de liberté pour tous et toutes

Plus aussi, il sera évident pour les hommes que l’égalité est un bienfait pour tous et toutes, qu’elle libère chacun-e des injonctions stéréotypales et offre à tous et toutes la possibilité d’aller de l’avant en tout… Et jusqu’au bout.

Marie Donzel

 

Références : Lean in – En avant toutes – les femmes, le travail et le pouvoir de Sheryl Sandberg. Préface de Christine Lagarde. Editions JC Lattès. 2 mai 2014