Arborus fête son 20è anniversaire…

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… Et se projette dans les 20 prochaines années (et plus)

20 ans ! Voilà 20 ans déjà que l’association Arborus agit en faveur de l’égalité et de la mixité. On lui doit l’idée du Label Egalité et du Club d’entreprises du même nom, la Jardinerie de l’Egalité, le dispositif de marrainnage « La Courte Echelle », le Programme Deledios (en partenariat avec l’Autre Cercle), la certification GEEIS*… Entre autres dispositifs innovants et efficients pour faire progresser réellement le partage des responsabilités.

A la veille du grand colloque qu’organise l’association pour célébrer son bel âge, la rédaction du blog EVE a rencontré Cristina Lunghi, sa fondatrice et présidente.

EVE le blog : Bonjour Cristina. Commençons par un flash-back : nous sommes en 1995 et vous décidez de créer Arborus. Quelle est alors la situation sur le front de l’égalité ?

C. Lunghi

Cristina Lunghi : En 1995, on est très loin du compte. Mais on n’en a pas conscience ! Moi-même qui suis une jeune femme en pleine ascension de carrière, je pense comme une évidence que les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Ce qui est vrai du point de vue de la loi (puisqu’on a, en France et dans beaucoup de pays d’Europe, un arsenal très complet de dispositions légales garantissant l’égalité professionnelle) ; mais ce qui est un leurre dans la réalité.

Cela, je le prends en pleine face en tombant, dans un bureau de la Commission européenne, sur un poster dressant le palmarès des pays les plus avancés en matière de participation des femmes à la vie économique et politique : je commence par regarder le haut du tableau, pensant évidemment y trouver la France (le pays des droits humains quand même !), et finalement, c’est tout en bas, en avant-dernière position avant la Grèce, que notre pays se situe ! C’est un électro-choc : moi qui suis aussi de nationalité italienne et qui connait bien l’Europe, je découvre une exception française, et pas la plus glorieuse !

EVE le blog : Retraçons les débuts de l’association… Après ce « déclic », vous décidez de réorienter votre propre vie professionnelle pour vous consacrer au sujet de l’égalité. Comment ça se passe ?

Cristina Lunghi : A l’époque, j’entends des réactions assez stupéfiantes. On me donne du « Cristina, enfin, tu as un bel avenir professionnel, tu n’es pas toi-même une victime, qu’est-ce que tu vas aller travailler sur ce sujet, tu vas gâcher ton potentiel!« . Ca me convainc qu’il faut que je donne un cadre solide à mon action : ce sera une association qui a pignon sur rue…

Et puis, très vite, j’ai l’intuition qu’il faut tisser, autour d’Arborus, un réseau dense de personnalités d’horizons variés. C’est pourquoi ma première action est d’organiser, avec le soutien de la députée-maire Martine Aurillac, un grand colloque à l’Assemblée nationale, en présence de toute une pléiade de figures du monde politique, du monde de l’entreprise, du monde diplomatique, du monde associatif… On va créer une dynamique de propulsion : donner de l’écho à la question de l’égalité, en la mettant simultanément à l’agenda de tous les acteurs!

EVE le blog : Quand on interroge les grands témoins de l’histoire d’Arborus à votre sujet, cette capacité à faire travailler ensemble des gens qui n’ont pas l’habitude de se parler est une qualité qui vous est unanimement reconnue. C’est une façon d’être chez vous, ou bien une stratégie bien établie ?

Cristina Lunghi : Les deux à la fois. Peut-être parce que j’ai une double nationalité, peut-être parce que dans ma vie professionnelle, j’ai toujours eu des fonctions d’intermédiation, peut-être parce que tout simplement j’aime les gens et que j’ai envie que les gens que j’aime se rencontrent, on peut dire que ça fait partie de ma personnalité.

Il y a aussi de la conviction profondément ancrée : j’ai toujours voulu oeuvrer pour l’intérêt général, ce qui par définition exige de faire de la place à ceux qui sont différents de soi, dont on ne partage pas forcément toutes les idées, dont la culture ne nous est pas immédiatement familière.

Il y a aussi une forme la stratégie. Une stratégie très pragmatique : la plupart des choses qui ne fonctionnent pas alors qu’elles ont a priori tout pour marcher, échouent faute de communication. Le cas du cadre législatif de l’égalité professionnelle est typique : on a des lois, bonnes sur le fond, mais inappliquées sur le terrain. On peut se renvoyer la balle indéfiniment : le législateur reprocher à l’entrepreneur de manquer de bonne volonté, l’entrepreneur lui répondre que ses lois sont inadaptées… Ou on peut se mettre autour d’une table et travailler en « bonne intelligence », c’est à dire en bâtissant de la confiance, du dialogue et de la compréhension mutuelle et en co-construisant des outils qui font levier. Au fond, ce qu’on veut tous, c’est gagner en performance, c’est un point commun solide sur lequel capitaliser.

EVE le blog : Justement, puisque vous parlez de performance, pensez-vous que la mixité est un facteur de santé et de compétitivité pour les entreprises ?

Cristina Lunghi : Oui, je suis convaincue que la mixité est un facteur de performance, et je suis également de celles et ceux qui défendent l’idée d’une plus-value féminine.

Quelle soit naturelle ou socialement construite, la différence entre les femmes et les hommes est une richesse : si les femmes ont des comportements plus empathiques ou plus conciliants que les hommes, on ne va pas se priver de cela dans le travail ! Que ces comportements bénéficient d’une revalorisation quand les femmes montent en puissance, c’est une bonne chose.

A mon sens, il ne faut pas tant agir sur les stéréotypes en eux-mêmes, que sur la transformation du stéréotype en image dévalorisée. Moi, je ne trouve pas dévalorisant qu’on me voit d’abord comme féminine, qu’on s’attende à ce que je sois plus douce, plus organisée ou plus « terrain » qu’un homme ; ça le devient quand on suppose que ce sont des qualités non conciliables avec la compétence ou le leadership, ou des qualités de second rang.

Je n’ai pas envie d’un monde totalement rationalisé, je veux qu’on préserve la magie qu’il y a dans la différence des sexes ; mais j’aspire à ce que nous ayons un monde qui tire tout le monde vers le haut, en valorisant vraiment nos différences, toutes nos différences.

EVE le blog : A cela, Arborus travaille depuis 20 ans, en proposant notamment des outils et méthodologies qui engagent les organisations dans une démarche active d’égalité articulée à la performance. Les plus connus sont bien sûr le label Egalité et la certification GEEIS, mais peut-être avez-vous envie, en cette date anniversaire, de mettre aussi d’autres de vos projets en lumière ?

Cristina Lunghi : Oui, bien sûr, le Label Egalité dont j’ai proposé l’idée à Nicole Ameline il y a 10 ans et qui a le succès que l’on sait, et aujourd’hui le GEEIS* qui installe le principe d’un standard universel de l’égalité applicable dans toutes les filiales des entreprises de par le monde, sont les fleurons d’Arborus. J’en suis très fière. Mais vous avez raison de souligner que ce ne sont pas nos seules actions.

Je suis par exemple très attachée au projet « La Courte Echelle », que nous menons depuis 2004. C’est un dispositif de marrainage de jeunes filles par des femmes en activité qui s’engagent à les initier à la vie en entreprise et à soutenir leurs démarches d’insertion professionnelle. C’est un dispositif qui marche très bien et que nous comptons bientôt déployer dans l’ensemble du réseau des entreprises labellisées.

Je pourrais aussi vous parler de la « Jardinerie de l’Egalité » qui propose un « kit égalité » aux PME et branches professionnelles d’Île de France dans le cadre du label « territoire d’excellence ». C’est un outil très simple d’utilisation, qui permet de se mettre en conformité avec la loi et de construire des plans d’action pour bénéficier des effets de la mixité sur la performance.

Il y a encore le Club du label Egalité qui existe depuis 10 ans et porte énormément de nouveautés, notamment en favorisant le partage des bonnes pratiques et en produisant beaucoup de contenus qui font avancer la réflexion. Ce Club met en évidence que l’égalité est une question de processus et de culture.

EVE le blog : J’imagine que de tout cela, on parlera demain, lors de l’événement que vous organisez à l’Assemblée Nationale sous le titre « back to the future »… Que signifie cet intitulé ?

Cristina Lunghi : Lors de cette rencontre « Back to the future », on va revenir, avec les grands témoins de l’histoire d’Arborus (Nicole Ameline, Frédérique Clavel, Carole Couvert, Marie-Jo Zimmermann, Catherine Tripon…), sur ce qui a changé au cours de ces 20 dernières années…

Mais on va aussi se projeter dans les deux prochaines décennies, pour envisager les grands défis qui attendent le monde et ne pourront être relevés sans les femmes.

EVE le blog : Qu’est-ce qui, à vos yeux, a vraiment changé, au cours des 20 dernières années?

Cristina Lunghi : Le principal changement, c’est que l’égalité est devenue une question sociétale. Hier, c’était une affaire de militant-es, mais à présent, c’est un sujet prioritaire à l’agenda, que plus personne ne peut ignorer ou minimiser. De cette prise de conscience commencent à découler des progrès observables.

Mais on voit aussi que l’égalité est fragile et que, dès que les contextes économiques, politiques, internationaux se tendent, les droits de femmes peuvent régresser.

EVE le blog : Renforcer et pérenniser l’égalité, est-ce alors le grand défi à relever pour les 20 prochaines années ?

Cristina Lunghi : Oui, pérenniser les acquis de l’égalité est un défi majeur. C’est surtout un incontournable, pour réussir le changement de monde dans lequel nous sommes déjà engagés. D’un côté, nos « vieux » modèles de société se montrent à bout de souffle ; de l’autre, les nouvelles technologies, le développement de l’intelligence artificielle et la transformation digitale dans son ensemble ouvrent des perspectives inédites.

Nous sommes face à un immense chantier et ma conviction est que l’on ne peut se priver de l’énergie et des talents des femmes pour le mener. D’autant que ma vision me porte à penser que les femmes, dont on sait qu’elles ont des capacités d’adaptation et d’agilité phénoménales, sont particulièrement bien outillées pour mener ce changement, qui nous propulse déjà dans le XXIIè siècle.

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.

Nos partenaires L’Oréal et Orange, ainsi que la filiale de Geodis de notre partenaire SNCF sont engagés dans la démarche de certification GEEIS.