Sous l’oeil des psys : petits podcasts exquis pour grands préjugés anéantis

Eve, Le Blog Développement personnel, Leadership, Responsabilité Sociale, Rôles modèles

Rencontre avec Jean-Louis Monestès

 

 

 

L’argent fait-il le bonheur?

Combien faut-il en dépenser pour séduire l’élu-e de son coeur?

Pourquoi avons-nous l’impression d’être « à poil » quand nous nous sentons faible?

D’où vient que nous ayons peur de démoraliser les autres quand nous leur parlons de nos tracas?

Mentir, est-ce toujours une faute de goût?

Tant de petites questions morales, philosophiques et affectives auxquelles nous apportons chacun-e nos réponses, à la lumière de nos valeurs et de ce que nous avons retenu de nos expériences passées… Et si tout cela n’était pas qu’une affaire de perceptions individuelles? Des mécanismes psycho-sociaux, qui échappent la plupart du temps à notre conscience, interviennent dans le regard que nous portons sur les situations et dans les solutions que nous trouvons pour y faire face.

Les décrypter, c’est d’abord partager une expérience le plus souvent indicible (ce qui fait déjà un bien fou) mais c’est aussi mettre en échec une foule de préjugés qui brouillent notre discernement et c’est enfin tenir à portée des main des clés toutes simples pour transformer ses comportements.

Mais il y a l’art et la manière de déchiffrer les idées toutes faites et de suggérer d’autres façons de voir et de faire. Le docteur en psychologie Jean-Louis Monestès a choisi de marier l’humour à la pédagogie. Le résultat, c’est une irrésistible série de petits podcasts exquis qui mettent en valeur les travaux très sérieux de grands chercheurs à partir de situations en apparence anodines… En apparence seulement!

 

Nous avons interviewé Jean-Louis Monestès pour en savoir plus.

 

 

 

 

 

Programme Eve : Bonjour, vous êtes docteur en psychologie, directeur de recherches au Pôle de Santé mentale de la Réunion, formateur de personnels soignants, auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques, membre du CNRS et de l’association française de Thérapie Comportementale et Cognitive et on en passe. Vous êtes aussi à l’initiative de « Sous l’oeil des psys », un module de programmes courts à podcaster qui apportent en 2 minutes chrono des réponses intelligentes et scientifiquement appuyées à toutes sortes de questions en apparence anodines. Comment ce projet est né?

 

 

Jean-Louis Monestès : Que ce soit au travers de mes livres, de l’enseignement ou des conférences, j’ai toujours pris beaucoup de plaisir à communiquer aux autres ma passion de la psychologie, avec le secret espoir qu’ils y trouvent autant d’intérêt que moi. Je ne ressens jamais autant d’excitation que lorsque je parviens à créer cette petite étincelle dans les yeux de ceux à qui je m’adresse, ce pétillement qui me fait voir que des idées sont saisies par l’autre, et qu’il va rapidement en créer de nouvelles auxquelles je n’ai pas pensé moi-même.

Mon credo est que la psychologie n’a de sens que si elle permet à chacun de percevoir le monde qui l’entoure, et lui-même, de façon utile et éclairée. L’objectif de la psychologie n’est pas uniquement de construire des modèles compliqués qui ne sont compris que par les spécialistes, ou des tests pour les magazines ! Toute démarche psychologique comprend des aspects philosophiques qui peuvent nous guider dans notre vie quotidienne comme face à nos questions existentielles. Je pense qu’il est de la responsabilité des chercheurs de transmettre ces connaissances de façon accessible afin que chacun puisse les adapter à ce qu’il est et à ce qu’il vit.

 

Mais tout le monde n’a pas le temps de lire, et l’idée m’est venue de proposer des « pastilles » courtes qui transmettraient de l’information en peu de temps, sans avoir besoin de se fader des articles scientifiques bourrés de statistiques et de méthodologie, et le plus souvent en anglais ! Avec cette idée en tête, le podcast court m’est apparu le medium le plus adapté. En restant fidèle au contenu des articles dont je parle, j’essaie d’en extraire les résultats les plus importants, afin que chacun puisse en prendre connaissance de façon rapide, et pourquoi pas ludique.

Le format audio permet de faire passer davantage que l’écrit, et j’ai trouvé qu’un podcast court s’adapterait bien à nos rythmes de vie, car il peut être écouté quand on le souhaite, en déplacement, par exemple à l’aide de son smartphone. J’imagine volontiers les auditeurs dans le métro, leur voiture, ou à la pause café, prenant un moment pour penser à leurs comportements et leurs réactions, un moment pour se découvrir, au-delà de ses automatismes. Et après une vingtaine d’épisodes, je constate, presque avec surprise, la grande quantité de choses qui peuvent être expliquées en 2 minutes !

 

 

 

Programme Eve : En répondant scientifiquement à des questions comme « Qui dit je t’aime en premier? », « Qui est le meilleur footballeur de tous les temps? » ou « Les contrefaçons changent-elles la personnalité? », vous mettez en évidence les mécanismes psychologiques de nos perceptions et balayez par là-même une foule de préjugés… Est-ce le but de votre démarche? Poursuivez-vous un objectif « politique » au sens noble du terme en offrant à vos auditeurs l’occasion de repenser leurs visions stéréotypées?

 

 

Jean-Louis Monestès : Il y a nécessairement une démarche politique, au sens noble du terme, dans une telle démarche. Prendre la parole en public n’est jamais simple, et il faut y percevoir la possibilité de véhiculer, même modestement, un changement. J’y reviendrais, mais je trouve que nous vivons une époque qui sollicite bien trop la psychologie de chacun, dans une course à la perfection. Je pense que nous nous posons vraiment trop de questions… Mais mon objectif premier est de faire connaître la psychologie dite « expérimentale », c’est-à-dire les résultats de la recherche basés sur des expériences. Cette forme d’étude de la psychologie n’est actuellement que très peu diffusée, mais nous sommes quelques uns à en faire connaître les résultats, comme Joule et Beauvois dans leur célèbre Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, ou encore Laurent Bègue et son Psychologie du bien et du mal, qui ont tous deux été des succès auprès du grand public. J’ai moi-même contribué à diffuser ces résultats expérimentaux au travers de mes livres sur les souvenirs (Faire la paix avec son passé) ou le changement (Changer grâce à Darwin). Nous devons poursuivre cet effort, car le gros de la diffusion en psychologie concerne plutôt des théories, des hypothèses et des réflexions, que des résultats expérimentaux, et il arrive que des réflexions soient présentées comme des faits alors qu’elles ne sont pas vérifiées par la recherche.

Mon premier objectif est donc de montrer la richesse des résultats apportés par ces recherches, et de faire percevoir le discernement nécessaire à leur utilisation. Car contrairement à ce qu’on lit ça et là, la psychologie n’apporte pas de réponses toutes faites. Comme toute science, elle apporte des éléments de connaissance, pierre après pierre, même si ces connaissances sont parfois contradictoires. Les chercheurs eux-mêmes n’ont pas de réponses clés en main ! Au travers de ce podcast, j’espère faire passer l’idée que la recherche en psychologie peut donner des éléments de réponse fiables et vérifiés à des questions précises, à défaut de répondre à toutes ! La démarche réellement politique qui sous-tend ce podcast, n’est pas forcément de faire tomber des préjugés, mais de fournir des éléments de réflexion, afin que chacun porte un regard curieux sur ce qu’il vit et fasse son propre chemin.

 

 

Programme Eve : Vous avez délibérément choisi d’aborder des thèmes concrets voire parfois perçus comme futiles (la consommation de produits de marque, le foot, la séduction…) et d’adopter un ton malicieux, presque taquin, pour en décrypter les enjeux. A qui voulez-vous tout particulièrement vous adresser en optant pour cette forme du discours sur les perceptions et les comportements?

 

 

 

Jean-Louis Monestès : En psychologie, nous abordons des questions difficiles, complexes, lourdes de sens et d’émotions. Mais ce serait une erreur de penser que notre psychologie ne s’exprime qu’au travers de ces questions complexes. Elle est présente dans tout ce que nous faisons, que cela paraisse anecdotique ou non. Il ne s’agit pas de chercher à tout analyser. Cela n’a aucun intérêt et c’est bien trop épuisant ! Mais il peut être utile de regarder nos automatismes afin d’en faire autant d’occasions de mieux nous connaître. Et ces automatismes se cachent souvent où on ne les attend pas.

Par ailleurs, ce que nous découvrons à propos de nous, même si nous n’aimons pas trop nos réactions, n’implique pas que nous devons nous en culpabiliser. Quand c’est nécessaire, c’est changer qui est important, et non se jeter la pierre quant aux raisons qui nous ont conduit à être comme nous sommes ! S’il est question de se comprendre, c’est pour ensuite regarder de l’avant, avec dynamisme et enthousiasme. Alors, si on peut en rire au passage, pourquoi s’en priver. Mes travers me désolent autant qu’ils m’amusent. Rire de nos comportements que nous n’aimons pas trop, c’est déjà prendre de la distance avec eux, pour mieux pouvoir les contourner.

Alors à qui s’adresse ce message ? A tous ceux qui veulent apprendre des choses fondées à propos d’eux-mêmes, sans trop s’en faire une montagne, sans se morfondre ou se juger, simplement pour essayer d’y voir un peu plus clair.

 

Programme Eve : Comment réagit votre communauté scientifique à cette initiative?

Jean-Louis Monestès : Mes collègues soulignent surtout le manque que comble en partie ce podcast. Je diffuse leurs travaux et je donne peut-être envie à certains auditeurs d’aller creuser plus avant certaines questions. Le défi est surtout de bien décrire leurs résultats, de transmettre leur message en peu de mots, sans le dénaturer, et c’est surtout là que se fait mon travail.

 

 

Programme Eve : En questionnant notre rapport à la séduction, à la célébrité, à l’argent, aux signes extérieurs du pouvoir, vous donnez à chacun des clés pour mieux être soi. Au-delà des effets sur le bien-être individuel, pensez-vous qu’une société de l’être soi peut avoir des effets collectifs positifs? Et si on parle plus particulièrement du monde de l’entreprise, un manager qui sait être soi vous parait-il un meilleur dirigeant?

 

Jean-Louis Monestès : C’est sur ce point je pense que s’exprime le fond « politique » de mon message. Je pense effectivement que nous avons tous un rôle à jouer pour aller vers une société dans laquelle nous pourrions davantage être nous-mêmes, dans le monde de l’entreprise ou ailleurs. Mais encore faut-il que nous connaissions bien notre « soi ». C’est un peu tricky, mais disons en substance que nous nous construisons grâce aux autres. Notre « soi » ne se bâti qu’au travers de ceux qui nous entourent. Lorsque je cherche à masquer une part de moi, souvent de peur d’être rejeté par les autres, cela m’éclaire aussi sur qui je suis. Cette facette de « celui qui masque » fait aussi partie de ce que je suis. Généralement, elle atteste du fait que les autres comptent pour moi, que je suis un être social. Bienvenus au club ! Il n’est pas nécessaire de chercher à repousser à toutes forces cette part de soi. Etre soi, c’est aussi savoir que parfois, je suis quelqu’un qui masque ce qu’il est réellement. Mais repérer quand et pourquoi cela arrive permet d’éviter que cela ne devienne un automatisme. Ou une drogue.

 

Ces derniers temps, je réfléchi beaucoup à la télé-réalité et à ce qu’elle véhicule. Mes premières réactions étaient négatives, et certaines des valeurs qu’elle véhicule (compétition à outrance, voyeurisme) continuent à m’agacer profondément. Mais à force de confessionnal et autres analyses au microscope des défauts et faiblesses de centaines de candidats, il y a peut-être – qui sait ? – une forme de banalisation des défauts de chacun qui se fait jour, peut-être vers une libération de la culpabilité de chacun. J’ai des défauts ? Vous les voyez ? Et alors ? Cela n’annihile pas tout ce que je suis, tout ce que je fais, et cela ne m’empêche pas d’avancer.

La télé-réalité constitue la méthode forte, et il n’est pas nécessaire d’en passer par de tels happenings. Mais se connaître et ne pas hésiter à montrer ses défauts constitue une attitude simple à adopter au quotidien. Se souvenir que si nous excellons dans certains domaines, c’est parce que nous sommes davantage faillibles dans d’autres, et que cet ensemble complexe est inimitable, unique. Il est temps de passer à une appréhension de soi qui soit entière, et d’arrêter de saucissonner ce que nous sommes, en se comportant comme si nous pouvions faire abstraction de telle partie de nous que nous n’aimons pas.

 

Dans la dissimulation de soi, il y a une volonté de consumérisme de nos comportements et de nos traits de personnalité. Nous avons la prétention de faire notre marché parmi nos différentes réactions au monde et aux autres. Mais pour être soi, il faut être tout. Il est temps de passer à une forme de « défauts-pride » : je suis un tout, je fais mon possible pour m’améliorer, mais je me nourri de mes points faibles comme de mes points forts.

 

Dans le monde de l’entreprise, il y a à l’évidence beaucoup à gagner à se connaître et à ne pas chercher coûte que coûte à se dissimuler aux yeux des autres, qu’ils soient collaborateurs ou N+1. Les bénéfices sont doubles. D’abord en termes d’énergie psychique économisée. En libérant tous les efforts consacrés à se montrer sous son meilleur jour, on peut bien mieux se concentrer sur l’essentiel, sur les responsabilités qui nous sont confiées et la mise en action de nos compétences. Ensuite parce que nos collaborateurs ne s’y trompent pas. Ce qu’ils perçoivent face à quelqu’un qui connaît ses points faibles et jongle avec eux sans chercher à les masquer, c’est la force de la sérénité, quels que soient ses défauts et ses difficultés. Face à un manager qui prend la mesure de ses points faibles et les assume, ce qui transparaît est la sagesse de quelqu’un que peu de choses déstabilisent, pas même ce qu’il ne parvient pas à maîtriser. Un manager bien dans son tailleur, qui donne envie de se dépasser et met en confiance, car on perçoit qu’il prend tranquillement la mesure de ce qu’il peut améliorer, et sert de modèle pour que chacun puisse faire de même.

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, avec la complicité de Sylvie Bernard-Curie.