« L’entreprise est un écosystème vivant, qui a besoin de diversité »

Eve, Le Blog Dernières contributions, Rôles modèles

Rencontre avec Ana-Sofia Amaral, administratrice représentant les salarié·e·s au board de L’Oreal

Dans quelles circonstances êtes-vous devenue administratrice de L’Oréal ?

Ana-Sofia Amaral : Pharmacienne de formation, j’ai fait presque tout mon parcours chez L’Oréal, avec seulement une interruption pour travailler dans des autorités de santé. Je suis très attachée à cette entreprise : L’Oréal, c’est inscrit dans mon destin. Un jour, mon manager m’a proposé de représenter les salarié·e·s portugais·e·s au sein du Comité européen d’entreprise. J’ai été un peu surprise, mais je suis plutôt du genre à accepter les challenges. On était en 2006, le contexte était plutôt calme et les discussions très enrichissantes. Puis en 2007-2009, nous avons été confrontés à une importante crise, avec une baisse de chiffre d’affaires et tout ce que cela implique en termes de dialogue social… Cette période a été très formatrice.

Quand en 2013, est passée la loi imposant aux boards de compter une proportion d’administrateurs salariés et que L’Oréal a choisi que l’un·e de ces deux représentant·e·s viendrait du Comité européen d’entreprise, moi qui jusqu’ici m’était un peu laissée porter par la vie, en acceptant les opportunités qui se présentaient, cette fois-ci, je me suis dit « je le veux ! ». Et j’ai candidaté !

Qu’est-ce qui a dirigé cet affirmatif « je le veux » ? Quelles ont été vos motivations ?

Ana-Sofia Amaral : Au Comité européen, j’ai pris conscience que j’avais des qualités pour faire dialoguer des parties prenantes, que je sais faire le pont entre les personnes et trouver un terrain commun entre des intérêts différents. J’ai aussi expérimenté comme on peut avoir de l’impact quand on met en œuvre ce type de compétences à un niveau stratégique et décisionnel.

J’ai sondé mon entourage proche et des collègues délégués d’autres pays sur cette idée de candidater. On m’a répondu « è a tua cara », une expression portugaise qui dit « c’est ton visage » et que l’on pourrait traduire par « c’est fait pour toi ». Alors, je me suis lancée… Et j’ai gagné.

Qu’est-ce que l’on ressent la première fois qu’on se rend à une réunion du CA de L’Oréal ?

Ana-Sofia Amaral : Beaucoup de curiosité ! On sait qu’on va se mettre autour de la table avec la famille Bettencourt Meyers et les grand·e·s dirigeant·e·s de l’entreprise. C’est une expérience que tout le monde n’a pas la chance de vivre dans sa vie ! Quand j’y vais, je veux être à la hauteur, mais je n’ai pas peur. Je suis un enfant L’Oréal, je me suis développée dans cette entreprise, je la connais et je l’aime. Alors, je me sens légitime.

Vous avez bénéficié pour entrer dans un CA, d’un quota… Non pas un quota de femmes dirigeantes comme c’est prévu par le dispositif Copé-Zimmerman mais un quota de représentant·e·s des salarié·e·s voulu par la loi de 2013. Quelle est votre opinion sur ces mesures d’affirmative action visant à renforcer la diversité des instances de gouvernance ?

Ana-Sofia Amaral : Comme beaucoup de gens, j’ai longtemps été opposée aux quotas. On doit choisir les personnes pour leurs compétences et leurs mérites !

Et puis, j’ai revu ma position : je suis absolument convaincue que la diversité est une source de performance et qu’il faut donner un coup d’accélérateur pour que cette diversité devienne une réalité. J’ai observé aussi que les personnes qui bénéficient de ces mesures sont particulièrement soucieuses d’être à la hauteur. Enfin, maintenant qu’on a un peu de recul sur les effets des quotas, on en mesure tous les aspects positifs : la diversité qu’ils amènent dépasse la catégorie « femmes » ou « représentant des salarié·e·s » pour apporter aussi plus de profils internationaux, plus de jeunes, plus de personnes proches du terrain. Et puis, les quotas ont amené à se poser de très bonnes questions, à commencer par « qu’est-ce que la diversité » ? C’est bien plus, en fait, que donner de la visibilité à des catégories de population.

Alors, quelle définition donneriez-vous de la diversité ?

Ana-Sofia Amaral : En tant que scientifique, j’associe naturellement cette notion à la biodiversité. Il n’y a pas de vie sans diversité. L’entreprise est un écosystème vivant, qui fonctionne grâce aux relations entre des personnes différentes, qui s’apportent mutuellement. Il n’y a rien de plus naturel que la diversité ! Il faut que cette diversité puisse vraiment s’exprimer, chacun·e doit pouvoir être soi-même, contribuer au collectif avec sa façon d’être, son style.

Quel est votre style en tant qu’administratrice ?

Ana-Sofia Amaral : Je suis tranquille et rigoureuse. Je ne suis pas dans la confrontation, mais je sais être directe, dire ce que je pense, avec simplicité et avec une certaine douceur. Je ne suis pas mal à l’aise avec le fait d’exprimer ma féminité dans un cercle de pouvoir. Quand je vois des femmes qui se conforment à des modèles masculins dans l’intention de se faire accepter, je trouve que c’est dommage. Peut-être dommage pour elles si elles vont contre leur personnalité. Dommage pour le collectif, aussi, qui a précisément besoin de points de vue différents. Pour moi, toute la valeur de la mixité réside dans le fait de pouvoir se parler d’égal à égal et de travailler ensemble, avec nos différences.