Pr Saïda Douki Dedieu : discriminer les femmes est une absurdité politique, économique et sociale partout dans le monde

Eve, Le Blog Actualité, Egalité professionnelle, Leadership, Rôles modèles

C’était la semaine dernière dans Leaders, le magazine d’information tunisien consacré au leadership : la Professeure Saïda Douki Dedieu publiait une passionnante tribune au titre évocateur « L’égalité entre femmes et hommes : un enjeu de santé, de développement et de démocratie ».

 

 

 

 

 

 

Au programme EVE, vous le savez, nous sommes foncièrement attaché-es à la neutralité politique et religieuse, nous refusons de nous immiscer dans la vie des partis et de prendre position sur les religions. Mais nous avons été très sensibles au courage de la Professeure Saïda Douki Dedieu, qui a pris la plume pour défendre les droits des femmes à un moment où ils sont précisément menacés dans on pays natal. Ce qui nous a également interpellé-es, c’est sa capacité à partir d’une situation politique particulière dans un pays où la religion exerce une forte influence sur la société pour mettre en perspective toutes les problématiques des droits des femmes et du leadership féminin pour l’ensemble des pays du monde.

 

 

 

 

 

 

 

Comment effacer un demi-siècle de progrès en quelques lignes

 

 

 

 

Sous la plume de cette éminente intellectuelle tunisienne, on lit d’abord toute la déception d’avoir vu un « Printemps Arabe » au départ si prometteur muter, sous l’effet d’une récupération du mouvement par des élites politiques auto-légitimées, vers des « démocraties » bancales, obligeant à utiliser des guillemets pour les nommer et faisant des femmes des « citoyennes de seconde zone ».

De symboles insidieux (comme l’autorisation de porter le voile sur les papiers d’identité, urgemment décrétée) au rétablissement de la tolérance à l’égard de la polygamie (via la restauration des « mariages coutumiers« ), la nouvelle « démocratie » tunisienne semble vouloir assumer son mépris des avancées politiques et sociales favorable aux femmes, rayant d’un trait un demi-siècle de progrès socio-culturel au Maghreb.

 

Le point d’orgue de ce rétropédalage historique fut, après un scabreux débat sur la capacité d’une femme à se présenter aux élections présidentielles, la tentative d’insertion dans la nouvelle constitution de la notion de femme complémentaire de l’homme. Complémentaire, donc « secondaire », donc « mineure » interprète la psychiatre Saïda Douki Dedieu, invitant le lecteur à prendre pleinement conscience du sens profond de la perfide petite ligne du projet de Constitution.

Et de rappeler que si, dans l’histoire politique de toutes les nations, la tentation d’écarter les femmes de la vie publique et de leur attribuer un statut d’inférieur est une constante, ce n’en est pas moins une absurdité. Car discriminer les femmes, là, c’est l’histoire économique et sociale qui le démontre, c’est toujours un mauvais calcul, explique Saïda Douki Dedieu.

 

 

 

 

 

 

La santé des femmes, c’est la santé de tous

 

 

 

 

Se passer des femmes, comme dans certains pays d’Asie où l’on « évite » leur venue au monde, comme dans les contrées où elles meurent encore trop nombreuses en couches, comme en Occident où l’on renvoie leur décès par maltraitance conjugale ou leur taux de suicide exponentiel à une succession de cas particuliers , c’est se priver d’une force vive, c’est affaiblir considérablement ses ressources, bien au-delà des femmes elles-mêmes. Le « gynécide » orchestré par la discrimination officielle ici ou officieuse là, est une source majeure de problèmes de santé qui touchent non seulement les femmes elles-mêmes, mais aussi leurs enfants et leurs familles, insiste Saïda Douki Dedieu. Des populations entières sont fragilisées par le peu de cas qu’on fait de la santé des femmes.

 

 

 

 

 

 

Pour le développement économique, faites confiance aux femmes!

 

 

 

 

Non seulement la santé de tous les habitants de la planète dépend de la santé de ses habitantes, mais il faut encore observer qu’en mettant les femmes à l’écart de la vie politique et citoyenne, un pays s’ampute lui-même de ses chances de développement économique. Bourguiba, que cite Saïda Douki Dedieu, l’avait compris : « Une société qui se prive de la moitié de ses membres est comme un corps frappé d’hémiplégie« . La psychiatre tunisienne enfonce le clou en rappelant cette simple vérité avancée par tous les défenseurs des droits des femmes : ce sont elles qui, avec les pères, éduquent les enfants ; quand elles sont privées de culture, d’éducation, d’ouverture sur le monde, les générations futures en sont elles aussi écartées.

 

Or, rappelle Saïda Douki Dedieu, les filles, quand elles vont à l’école, obtiennent de meilleurs résultats que les garçons, et cela partout dans le monde. Les femmes à des postes à haute responsabilité gèrent mieux les crises, négocient avec plus de détermination et obtiennent davantage de résultats. Ce n’est pas Saïda Douki Dedieu qui l’affirme, c’est le résultat d’une très sérieuse et parfaitement indépendante étude du Hedge Fund Research qu’elle cite. Et les investisseurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui attribuent plus volontiers les micro-crédits à celles qui investissent dans l’avenir et mettent un point d’honneur à rembourser leurs dettes.

 

Pas d’essentialisme primaire, cependant, chez Saïda Douki Dedieu : les qualités spécifiques observables chez les femmes ne sont pas innées, elles sont le fruit d’une nécessité intégrée de devoir travailler plus, prouver plus, donner plus pour réussir autant qu’un homme. Chez une femme, l’ambition, le sens de la compétition, le désir de performance sont vitaux et donc portés par une énergie inégalée.

Faut-il être aveugle ou englué dans des convictions réactionnaires pour ne pas s’apercevoir qu’il y a là, en elles, un incroyable potentiel de développement économique?

 

 

 

 

Quand une femme est opprimée, elle n’est généralement pas la seule à l’être

 

 

 

Alors, pourquoi la nation tunisienne supporterait-elle qu’on relègue ses femmes au rang d’êtres « complémentaires »? C’est une folie collective, exprime Saïda Douki Dedieu, rappelant l’inévitable « corrélation entre le déficit démocratique et l’inégalité entre hommes et femmes », car « là où les familles oppriment les femmes, les gouvernants finissent par réprimer tous les citoyens ». L’infériorisation des femmes ne favorise pas une domination masculine favorable aux hommes, mais bel et bien une domination tout court, qui fait « le lit des dictatures », et partant celui des conflits armés. L’égalité entre hommes et femmes est au contraire, porteuse de liberté, de réelle démocratie et de paix entre les nations.

 

 

 

 

Comment faire?

 

 

 

 

L’égalité juridique, conclut Saïda Douki Dedieu, est assurément le préalable à tout. Mais ensuite, la transformation sociétale, que Bourguiba déjà appelait de ses voeux pour la Tunisie, passera ici et ailleurs par le réinvestissement des hommes dans la sphère familiale. Partager l’éducation des enfants, voilà un socle véritablement prometteur pour une authentique démocratie, ouverte et favorable au progrès. La complémentarité se situe là : non pas dans la situation d’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre, mais bien dans l’échange et le partage des responsabilités dans le couple. Saïda Douki Dedieu note que ce partage est d’ailleurs à la racine même du couple dans le Livre. Rien ne prédispose donc l’Islam à l’inégalité homme/femme.

 

 

 

 

 

 

 

 

Saïda Douki Dedieu parle bien depuis la Tunisie de 2012, mais elle parle au monde entier, pour aujourd’hui et pour demain.

 

 

 

 

 

Marie Donzel