L’empathie, une qualité « féminine » ? On en parle !

Eve, Le Blog Actualité

De récentes études (UCLA 2019, Cambridge 2022) mettent en évidence que l’empathie aurait un genre… Le genre féminin ! Voilà qui conforte volontiers un essentialisme attribuant aux femmes des qualités supérieures en matière d’intelligence émotionnelle et relationnelle. Mais peut-on si facilement conclure de ces études que l’empathie est une compétence féminine ? On en parle !

De quoi parle-t-on ?

L’empathie est une notion qui a pris une place considérable ces dernières années dans la conversation autour des « soft skills ». Mais de quoi parle-t-on exactement ?

On parle de la capacité à comprendre le point de vue de l’autre. De façon imagée, on pourrait dire : regarder le monde avec la paire de lunettes de l’autre. Cela implique de sortir de sa propre subjectivité pour prendre en compte la subjectivité d’autrui. X et Y sont face à  un même objet, mais ils ne voient pas la même chose. Cette capacité renvoie à l’intelligence relationnelle.

Par empathie, on entend aussi la capacité à cerner les émotions de l’autre. Cela renvoie à l’intelligence émotionnelle.

Les ressorts de l’empathie sont étudiés d’une part par les neurosciences sous l’angle cognitif et d’autre part par la psychologie sous l’angle comportemental. Pour la partie cognitive, on mesure la sensibilité d’un individu aux états mentaux d’un autre en observant l’activité des neurones miroirs à l’imagerie médicale. Pour la partie plus psycho-comportementale, on s’intéresse aux réactions d’un individu quand il est exposé aux émotions d’une autre individu : reconnait-il l’émotion ? est-il capable de la qualifier ? a-t-il lui-même des émotions immédiates en « miroir » de celles auxquelles il est exposé ?

Côté neurones miroirs, pas de différences femmes/hommes. En revanche, pour ce qui est de la réceptivité psycho-comportementale à l’expression des états mentaux d’autrui, les femmes montrent des capacités supérieures à celles des hommes.

L’hypothèse hormonale

Si ce n’est pas du côté des neurones que se trouve la cause de l’écart genré d’accès aux émotions d’autrui, cela pourrait-il venir des hormones ?

Le rôle de l’ocytocine, surnommée « hormone de l’attachement », dans l’empathie a été mis en évidence par des chercheurs de l’Université de Cardiff : ils ont divisé en deux un panel de patients dont le taux d’ocytocine était abaissé du fait d’un traitement contre le diabète ; la moitié d’entre eux a bénéficié d’une substitution pour remettre l’ocytocine à niveau… Cette moitié du panel a mieux réussi aux tests d’empathie que celles dont les taux hormonaux restaient déséquilibrés. Non seulement les patients retrouvant un juste taux d’ocytocine se sont montrés plus réceptifs aux émotions d’autrui mais ils se sont également révélés dans un état de bien-être psychique supérieur à celui des patients en déficit d’ocytocine. De là à dire que l’empathie rend plus heureux, il n’y a qu’un pas. Mais avant de le franchir, arrêtons-nous sur le genre de l’ocytocine : l’hormone est fréquemment associée à la féminité car elle est libérée en très grande quantité au moment de l’accouchement et lors de l’allaitement. Mais pas de panique si vous n’êtes pas directement concerné par ces événements, car on libère aussi de l’ocytocine en faisant l’amour, en adressant des compliments, en passant du temps avec ceux que l’on aime, en prenant soin les uns des autres…

En face de l’ocytocine qui favorise l’empathie, il y a une hormone qui la contient, voire la réduit… Et c’est la testostérone. Des chercheurs de l’Université de Zurich ont mis en évidence une diminution de l’activité de la jonction temporopariétale impliquée dans les mécanismes de l’empathie (et plus globalement de l’intérêt porté à autrui) quand le taux de testostérone augmente. Pour cela, ils ont soumis à des tests d’empathie des volontaires enduits d’un gel chargé en testostérone et des volontaires enduits d’un gel placebo. Les seconds ont eu davantage de réflexes empathiques que les premiers. Certains commentateurs en ont hâtivement conclu qu’il est scientiquement prouvé que les hommes sont plus égoïstes que les femmes. C’est oublier que la testostérone n’appartient pas qu’aux hommes et que c’est même l’hormone la plus présente chez les femmes !

Ce que l’on peut retenir à ce stade, c’est surtout que lorsque nous sommes confronté·e·s à des dérèglements endocrinologiques (déficit ou excès de certaines hormones), plusieurs de nos facultés sont modifiées, dont l’empathie.

Une affaire de socialisation genrée ?

Et si les femmes étaient plus empathiques que les hommes parce qu’elles seraient davantage valorisées socialement sur ce plan ? Le consortium de chercheurs ayant produit la plus grande étude (300 000 participant·e·s issu·e·s de 57 pays) permettant de conclure à un plus haut niveau d’empathie chez les femmes que chez les hommes suggère en effet que l’éducation et l’environnement socialement construit favoriseraient cet écart.

Cette hypothèse du poids de la socialisation genrée est notamment induite par le fait que c’est à l’adolescence que les sujets féminins se montrent particulièrement surperformants en matière d’empathie alors qu’après 50 ans, les femmes sont plus proches des hommes dans le niveau de prise en compte des états mentaux d’autrui. En d’autres termes, les filles et jeunes femmes recevraient dans leur éducation plus d’invitations à se préoccuper de leur environnement, à repérer les signaux non verbaux dans le comportement des autres, à anticiper les réactions d’autrui pour adapter les leurs. Elles seraient ainsi très tôt investies, que ce soit dans les jeux de la petite enfance ou dans l’initiation aux relations de séduction, d’une forme de « charge émotionnelle », telle que le définit la définit la sociologue Arlie Russell Hochschild.

Ses travaux sur les métiers genrés mettent en évidence toute une imagerie de la sentimentalité dans les projections professionnelles : l’hôtesse de l’air, l’infirmière, l’institutrice sont présentées comme attentives, douces et généreuses, préoccupées du bien-être et des besoins de l’individu tandis que le pilote, le chirurgien ou le professeur sont figurés comme des techniciens de pointe, au service d’enjeux dépersonnalisés tels que la sécurité, la vitesse, la précision d’exécution, la science, le savoir… Un peu comme si être un vrai professionnel, c’était précisément ne pas faire dans le sentiment.

L’empathie : avant tout une compétence à développer

Oui, mais voilà, à l’ère des soft-skills, la définition du professionnalisme par la capacité à dépersonnaliser et désentimentaliser l’action est plus que challengée. L’excellence professionnelle passe désormais aussi par l’intelligence situationnelle (la capacité à comprendre son environnement, à identifier les signaux faibles, à cartographier les intérêts d’acteurs divers, à cerner les leviers fins et à jouer d’habileté pour lever les freins…) et par l’agilité (la capacité à supporter le changement, à adapter ses postures, à remettre en question ses modèles, à faire montre de résilience et de créativité pour faire évoluer l’existant…). Ces nouveaux attendus reposent sur le développement d’une compétence ombrelle : l’empathie.

Aussi, la question n’est plus tant « qui est le mieux doté·e par la nature ou la culture, d’empathie ? », mais comment s’y prend-on pour que chacun et chacune puissent s’y former, s’y entraîner et y exceller ? Peut-être que les femmes auront un train d’avance dans sur ce chemin, mais pourvu que l’on traite bien l’empathie en compétence (et non en trait de personnalité), il n’y a aucune raison pour que les hommes ne puissent pas les égaler.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE