Marie Ba, associée KPMG Sénégal :  » Le changement viendra des femmes qui osent surprendre « 

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Marie Ba est associée KPMG Sénégal. Cette entrepreneure dans l’âme, a créé son propre cabinet d’audit et d’expertise-comptable à Dakar, qu’elle a engagé en 2012 dans le réseau KPMG.

Femme d’expériences multiples et de convictions affirmées, elle porte un regard à la fois lucide et optimiste sur la mixité, l’égalité et l’accès des femmes aux responsabilités. Pour elle, le temps du changement est venu, les opportunités sont là et le partage du leadership est possible, mais rien ne se fera tout seul : les femmes ont de vraies cartes à abattre pour « changer les règles du jeu »!

 

Le blog EVE reproduit ici une interview que Marie Ba a récemment accordé à « La Galerie de Portraits »  (une rubrique de l’Intranet « Diversités ») de KPMG.

 

 

Bonjour Marie. D’où venez-vous? Quel a été votre cursus académique avant de débuter votre vie professionnelle?

Marie Ba : Je suis née au Sénégal où j’ai suivi ma scolarité jusqu’au bac. J’ai ensuite, comme beaucoup d’élèves de mon pays, poursuivi mes études à l’étranger. En France, où j’ai fait une prépa HEC à Brest puis l’Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse. Au cours de ma deuxième année à l’ESC, j’ai eu mon premier fils…

 

 

Cela n’a pas dû être toujours simple d’être étudiante et mère à la fois? 

Marie Ba : Le plus souvent, une femme dans cette situation, surtout de ma génération, doit arrêter ses études.

Mais j’ai eu une chance incroyable : mes camarades, de la communauté étudiante sénégalaise en particulier mais plus généralement de toute ma promotion, ont ensemble dit : « Ah non!, elle ne va pas renoncer, on va l’aider!« . Et c’est ce qu’ils ont fait : ils se sont mobilisés pour m’apporter du soutien matériel et logistique dans mon quotidien de mère et ils se sont organisés pour me transmettre les cours au fur et à mesure dans les semaines qui ont suivi la naissance de mon fils.

Cet élan de solidarité, grâce auquel je n’ai effectivement raté aucun examen cette année-là, je ne l’oublierai jamais. Je sais aussi que cela a marqué mes camarades, certains m’en parlent encore comme d’une expérience qui a fondé les adultes humains qu’ils sont devenus.

J’ai acquis la conviction, qui ne m’a jamais quittée depuis, qu’aider les autres et savoir se faire aider d’eux donne du sens, que c’est même un besoin fondamental dans l’existence. Alors, depuis toujours, à côté de ma vie professionnelle, je m’accomplis aussi dans des engagements associatifs et citoyens. C’est ainsi que j’ai été membre fondateur du premier Rotary club mixte du Sénégal créé en 1992 (alors que le Rotary est présent au Sénégal depuis 1939) dont je suis devenue la présidente.

 

 

Votre diplôme en poche, vers quel métier vous orientez-vous?

Marie Ba : De retour au Sénégal, j’entre chez Helios (actuel EY) où je fais de l’audit et du conseil. Puis, je rejoins la Commission de Vérification des Comptes près la Cour Suprême (Cour des Comptes du Sénégal) et après trois ans dans cette institution, mon ancien cabinet, par ailleurs informé de mon départ imminent pour la France, me rappelle pour me proposer un poste en France dans le bureau de mon choix et en reprenant les conditions de l’offre qui m’était déjà faite par Arthur Andersen.

C’est ainsi que j’atterris à Lyon, dans un bureau en pleine restructuration après la fusion avec Arthur Young. Quatre ans plus tard, je suis de retour à Dakar. Jusqu’en 1990, ma vie professionnelle est une alternance entre la France et le Sénégal, l’audit/conseil et le contrôle des finances publiques.

 

Et puis, en 1990, vous décidez de créer votre entreprise. Qu’est-ce qui vous motive pour vous lancer dans l’entrepreneuriat? 

Marie Ba : J’ai toujours eu envie de créer une entreprise.

Ma première idée, quand j’étais étudiante, c’était de lancer une marque de vêtements pour enfants.

Finalement, quand j’ai été prête, à 36 ans, à me lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat, il était plus raisonnable de capitaliser sur mon expérience acquise que de changer radicalement d’univers. J’ai donc créé un cabinet de conseil et d’audit : Marie Ba/MBA (Management Business Audit).

 

Et comment se passe le démarrage de votre activité en indépendante?

Marie Ba : Ca marche tout de suite. Je travaille pour des grands comptes, parce que c’est ce dont j’ai l’habitude et que mon réseau me le permet, et parce qu’il est vrai qu’à l’époque, nous sommes peu nombreux sur le marché, qui est de surcroît en fort développement. Quelques années après, je m’adosse à un réseau international d’audit, BDO, pour continuer à croître tout en bénéficiant du support technique nécessaire à l’exigence de qualité dont j’ai fait ma marque de fabrique.

En 2012, je passe encore un nouveau cap en intégrant le réseau KPMG.

 

Vous voilà donc associée, à la tête du bureau KPMG de Dakar. Combien de collaborateurs et collaboratrices avez-vous aujourd’hui sous votre responsabilité?

Marie Ba : Le bureau est dirigé par deux associés et compte une centaine de collaborateurs, dont une majorité de femmes. Je n’ai pas recherché cette prééminence féminine qui prévalait déjà dans mes équipes avant KPMG. J’ai pris les meilleur-es et il se trouve que parmi ceux-là, il y a une majorité de femmes. 

 

 

Trouvez-vous aux femmes des qualités spécifiques dans le travail?

Marie Ba : Au départ, j’étais très soupçonneuse à l’égard de tout ce qui s’apparentait aussi bien à de la discrimination positive qu’à des discours naturalistes sur les qualités des femmes. Je tenais un discours très simple : que les femmes soient traitées pour ce qu’elles sont, leurs valeurs, leurs compétences, leur travail et c’est tout!

Sans faire de concessions sur ce principe, je crois qu’il faut se rendre à l’évidence : les femmes ne jouent pas à jeu égal sur le terrain professionnel. Quand vous lisez Lean in! le livre de Sheryl Sandberg (ndlr : numéro 2 de Facebook), vous ne pouvez qu’être frappé-e par la similitude des situations qu’elle décrit : c’est la même chose aux Etats-Unis, en France, au Sénégal et ailleurs. Sur les femmes, pèsent encore la majorité des contraintes familiales et elles doivent composer leur vie professionnelle avec cela, en renonçant parfois à des opportunités (j’ai moi-même, du temps où j’étais salariée, refusé un poste intéressant parce qu’il impliquait de trop nombreux déplacements).

Et les règles du jeu, dans le monde du travail, et notamment dans les sphères de responsabilités, ont été faites par des hommes et pour les hommes. Ca peut changer, parce que beaucoup de monde y aspire, mais ça ne changera pas tout seul.

 

 

Alors, qu’est-ce qui peut provoquer le changement?

Marie Ba : J’ai souvent l’occasion d’intervenir dans des forums ou des tables rondes sur l’égalité professionnelle et j’y vois systématiquement revenir la question de l’implication des hommes, et notamment des conjoints. Je crois que c’est important, bien sûr d’embarquer les hommes dans les démarches d’égalité.

Mais je rappelle souvent aux femmes que rien ne leur a été donné qu’elles n’aient conquis, pour quoi elles ne se soient battues. Ce combat-là n’est pas terminé : il y a encore du travail à faire à l’échelle collective pour faire évoluer les mentalités, et au niveau individuel, pour oser s’affirmer et creuser son sillon, tracer son chemin, sans attendre que le monde n’ait changé.

Le changement viendra des femmes qui osent surprendre, même si parfois, elles doivent désobéir. 

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel pour KPMG « La Galerie de Portraits »/Eve le blog, avec la complicité de Marie-Béatrice de Crespin, Véronique Baillard et Géraldine Ferry (KPMG France)