A l’occasion de l’open d’Australie, on zoome sur la place des femmes dans le tennis

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Si on vous dit « Open d’Australie » , il y a des chances pour que vous pensiez « feuilleton de l’antivax Djokovic » ou peut-être « derniers résultats sur le court Rod Laver Arena »… Mais saviez-vous que cette année, c’est le centième anniversaire de la participation des femmes à ce prestigieux tournoi du Grand Chelem. Une information passée sous les filets de la majorité des médias mais qui n’a pas échappé à la rédaction du webmagazine EVE qui saisit la balle au bond pour faire le point sur la place des femmes dans le tennis.

Et pourquoi c’est intéressant, la place des femmes dans le tennis ? Parce que ce sport s’est précisément illustré au cours de son histoire comme terrain privilégié des débats sur l’égalité de genre dans le sport.

Un sport de bonne tenue

Ça commence en 1900, avec la première participation des femmes aux Jeux Olympiques de l’ère moderne. Parmi les 5 sports où elles sont autorisées à concourir, il y a le tennis. Mais les débats vont bon train sur… La tenue décente dans laquelle les dames doivent jouer !

Ce sport placé sous le signe de l’élégance veut alors qu’on le pratique en tenue de ville. Sauf qu’au tournant du XXè siècle, le vêtement féminin de jour est légèrement entravant pour la pratique sportive : robe longue corsetée à manches bouffantes et capeline de rigueur. Il faudra se battre pour remplacer le corset par la ceinture. Puis la robe aux chevilles par la jupe aux genoux. La jupe par la jupe-culotte et le chapeau par le bandeau dans les années 1930. La mini-jupe s’impose dans les années 1950 et la couleur s’invite dans les années 1980.

La conversation sur la tenue des dames sur les courts est-elle close ? Que nenni ! En 2018, tollé dans le milieu de la petite balle jaune quand Serena Williams débarque sur les courts de Rolland Garros en combinaison noire moulante digne d’une superhéroïne de comics. Tandis que les organisateurs du tournoi s’étouffent, la joueuse qui a accouché quelques mois plus tôt justifie son choix en détaillant les propriétés du textile en matière de circulation sanguine… Et certains s’étonnent que l’on fasse moins de cas du « catwalking » sexy de toutes ces joueuses qui depuis une vingtaine d’années, parfois en partenariat avec de grands couturiers, font du court un podium de défilé ! Est-ce à dire que l’excentricité d’une joueuse de tennis marque des points quand cela donne à voir un spectacle glamour mais porte atteinte aux valeurs fondamentales de la discipline quand l’esthétique cède devant le confort, l’ergonomie et la santé ? De nombreux papiers paraissent dans les journaux pour commenter cette controverse, avec toute une série d’arguments sur le contrôle du corps des femmes qu’elle symboliserait.

Affaires de sous

Bon, assez parlé chiffons. Évoquons plutôt les questions d’argent. Saluons le fait que le tennis fût le premier sport à instaurer l’égalité rémunération avec la décision prise en 1973 par les organisateurs de l’Open d’Australie d’accorder les mêmes « prize moneys » (gains en tournois) aux championnes et aux champions. Le film The battle of the sexes retrace l’épopée de la tenniswoman Billie Jean King dont le combat a permis d’obtenir cette victoire.

En 2007, le tournoi du Grand Chelem, dernier bastion de résistance à l’égalité de rémunération dans le monde de la petite balle jaune s’y résout. Mais ça fait grincer des dents. En 2012, l’international Gilles Simon demande tout bonnement que l’on revienne sur cette fâcheuse décision de payer autant les femmes que les hommes alors que dit-il, elles attirent moins de spectateurs, séduisent moins de sponsors, génèrent moins de ressources publicitaires. Et avec ça, elles occupent les courts avec leurs matchs au moment même il voudrait bien s’entraîner. Voilà qui lui file « forcément les boules » (sic) ! La polémique enfle, Sharapova le tacle, les sœurs Williams ironisent, Bartoli se fâche, il y a de l’ambiance sur le gazon.

Et on remet une pièce dans la machine en 2016 avec les déclarations du directeur du tournoi d’Indian Wells qui convie les joueuses à se prosterner devant des Nadal et Federer à qui elles doivent le prestige d’un sport et conséquemment, l’augmentation de leur rémunération ; suivies quelques heures plus tard des propos de Djokovic qui verrait bien ses propres primes croître mais avec la parité, il faut partager le gâteau avec les filles et automatiquement il y en a moins au bout de sa fourchette.

Girl Equal Power

C’en est assez pour Venus Williams qui balance dans Vogue : marre de « l’état d’esprit » d’un sport qui renvoie trop souvent les joueuses à des figures d’imposture. Ce qui ne serait rien si, ajoute-t-elle le sport n’était un « reflet de la vie et inversement ». Alors, la championne s’investit dans la lutte contre le sexisme sur les courts et au-delà, notamment en lançant avec sa marque EleVen la campagne #PrivilegeTax pour dénoncer toutes les asymétries de traitement qui coûtent aux femmes sans rien rapporter aux hommes. Car il est temps que ceux-ci « comprennent que l’égalité est une question d’opportunités pour les femmes plus que de pertes de chances pour les hommes ». Les femmes du tennis se mobilisent pour l’égalité de rémunération, pour la visibilité médiatique, pour l’équité face aux sponsors et annonceurs, pour la parité dans les instances de gouvernance

Pour aller dans ce sens, Federer plaide en 2020 pour la fusion de l’ATP et de la WTA, afin d’harmoniser les systèmes de classement, les catégories de tournoi, la communication d’un seul et même sport dont les règles ne changent pas selon qu’il est joué par des femmes ou des hommes. Les joueuses applaudissent et la majorité des joueurs, peut-être échaudés par les précédentes polémiques, gardent un prudent silence. L’idée d’une plus grande participation des femmes dans les instances progresse. Et pour en apporter la preuve, c’est Amélie Mauresmo qui prend en 2022 la tête des Internationaux de France.

Mais où est passée « l’élégance » tennistique ?

Première femme à occuper un tel poste, Mauresmo n’en est pas à sa première au titre de pionnière. En effet, elle a aussi été la première femme nommée capitaine de la Coupe de France de la Coupe Davis, mais a renoncé à la fonction pour se consacrer à l’entraînement de Lucas Pouille. Entre 2014 et 2016, elle avait déjà été la coach d’un autre champion : Andy Murray. C’est peu dire que cela avait fait du bruit dans le Landerneau : entre ceux qui soupçonnent le joueur d’avoir perdu les pédales (mais non, il ne s’est pas lancé dans le Tour de France cycliste !), ceux qui y sont allés de blagues raffinées sur le mot-même d’ « entraîneuse », ceux qui ont carrément insulté la joueuse et ceux qui se sont pressés d’attribuer chaque faille dans le jeu de Murray à l’incompétence prévisible de sa coach, la seule Française à avoir occupé la place de numéro 1 mondial a pris cher.

Le tennis, victime de son « moins mauvais » traitement des femmes que dans d’autres sports ?

Alors, de tout ça, on en conclut quoi ? Le tennis, fréquemment accusé de sexisme, est-il effectivement moins accueillant pour les femmes que d’autres sports ? Ou bien est-ce seulement parce que la discussion sur l’égalité femmes/hommes y est plus historiquement ancrée et plus médiatisée ?

Une partie de la réponse veut qu’on défende la cause du tennis qui est paradoxalement plus exposé au sujet de la mixité parce qu’il est l’un des sports où les femmes sont les plus visibles… Et les plus fortunées. Pour exemple, les seules femmes à entrer dans le classement Forbes des 100 sportifs les mieux payés du monde sont des tenniswomen. Ce sont encore les tenniswomen qui comptent parmi les femmes les plus souvent évoquées dans la presse sportive multidisciplinaire (L’Équipe, Eurosport…). En d’autres termes, il vaut mieux être joueuse de tennis que footballeuse, basketteuse ou cycliste pour se faire connaître du grand public… Et pour se voir attribuer un nom de lieu sportif : Suzanne Lenglen a donné son nom au 2è plus grand court de Roland-Garros, Althea Gibson a sa statue devant le stade Arthur-Ashe à New-York et un gymnase porte son nom à Paris… Une notoriété du tennis féminin qui explique en partie le fait que la fédé de tennis soit la deuxième fédération sportive la plus féminisée en termes de nombre de licencié·e·s, après l’équitation et avant la gymnastique.

Selon la sociologue Monique de Saint-Martin, la « culture aristocratique » du tennis est en partie à l’origine de cette présence historique et durable des femmes dans la discipline. En effet, nous dit-elle, la noblesse a très tôt eu ses « femmes de sport », à l’inverse de la bourgeoisie et a fortiori des classes laborieuses où le loisir, plus que toute autre activité, est marqué par la ségrégation genrée. Autrement dit, plus un sport est « noble », plus une certaine catégorie de femmes le pratiquent de longue date et plus cela crée des vocations dans l’ensemble de la société.

Le mariage malheureux de l’old-fashionism et du star-system ?

Mais ce fonds de « culture aristocratique » fait aussi le lit d’un conservatisme qui s’accommode mal de la mixité telle qu’elle se conçoit aujourd’hui. Ou plus exactement, il faut dire que la rencontre entre l’old-fashionism qui veut que l’on se comporte avec une élégance toute genrée en sachant rester à sa place et le star-system qui ne braque pas forcément les projecteurs sur les esprits les plus brillants se révèle une émulsion acide pour les femmes de tête que ce sport sait pourtant forger.

Mais la question de l’égalité femmes/hommes n’est pas la seule à témoigner de la nécessité pour ce sport de se libérer de ses carcans conservateurs : pour Patrick Mouratoglou, coach de Serena Williams et ardent promoteur de la modernisation de la discipline, le tennis qui se voit confronté aujourd’hui à une baisse des droits télé et à un désamour des sponsors, a besoin de diversifier son public, notamment de le rajeunir et de l’infuser de plus grande mixité sociale…

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE