C’est quoi la psychologie positive ?

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Les EVEsien·ne·s ont tou·te·s eu l’occasion de se familiariser avec la psychologie positive, notamment à travers les interventions du speaker de renommée internationale Tal Ben-Shahar.

Pour partager avec le plus grand nombre les enseignements de ce courant du développement personnel qui a le vent en poupe, la rédaction du webmagazine EVE passe en revue son historique, ses fondamentaux, ses applications et sa critique.

1998 : acte de naissance officielle d’une discipline prenant racine chez Aristote

Faire entrer la psychologie dans « le vrai monde »

Washington, octobre 1998. A la tribune du 107ème Congrès annuel de l’Association Américaine de Psychologie, le Président de l’institution, Martin Seligman annonce la naissance d’un nouveau champ des sciences psychiques, mentales et comportementales : la psychologie positive.

Le discours est à charge contre toutes les approches de la psychologie qui se sont, selon lui, trop concentrées jusque-là sur la souffrance et la maladie mentale et auraient oublié de s’intéresser au bien-être et au bonheur de tout·e un·e chacun·e. Il reproche aussi aux psys « classiques » d’être trop théoriques, trop abstraits, trop intellos et prône une pratique plus concrète, pourvoyeuse de « tips » à mettre en œuvre dans sa vie de tous les jours. Il veut faire entrer la psychologie dans le « vrai monde ».

Du neuf sous le soleil ?

Des dents grincent dans la salle. Les plus cultivé·e·s parmi celles et ceux que le discours de Seligman dérange font savoir qu’il n’a rien inventé : Aristote avait déjà élaboré une hygiène du bonheur dès l’antiquité. Spinoza n’a-t-il pas écrit sur les super-pouvoirs de la joie ? N’est-ce pas à Peale que l’on doit le concept de « pensée positive » et à Emile Coué la théorisation de ses effets auto-suggestifs permettant à chacun·e de voir le verre à moitié plein ? Les Japonais ne pratiquent-ils pas l’ikigai depuis un bail ? Et les behavioristes qui bossent depuis le début du XXè siècle avec des méthodes thérapeutiques très concrètes, peut-on vraiment les qualifier de psys éloigné·e·s du terrain ?

Donner un cadre à l’approche « positive »

C’est précisément parce que tout cela existe, est connu de façon plus ou moins approfondi par les un·e·s et les autres et que chacun·e cuisine un peu à sa sauce la « positive attitude » que Seligman veut structurer le courant : lui donner un cadre, des méthodes, une déontologie…

Primo, il faut définir l’objet de la psychologie positive : ce sera la science de ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue.

Deuzio, il faut établir un périmètre de recherches : de la place des émotions aux effets de l’empathie en passant par les ressorts de la motivation et de l’engagement, les moteurs de l’espoir et de l’optimisme, les enjeux de la quête de sens et l’auto-apprentissage par expérience, les moyens de gagner en efficacité et en impact dans sa communication, la psychologie positive s’intéresse à tout ce qui peut permettre à l’individu de vivre en harmonie intérieure et d’entretenir des relations de qualité avec son environnement.

Tertio, il faut poser des méthodes. La psychologie positive fait classiquement appel au retour d’expérience clinique, mais aussi aux neurosciences (pour illustrer ce qui se passe dans un cerveau quand il est traversé d’émotions, par exemple) ou à l’économie (avec un prisme utilitariste assez marqué quand il faut, par exemple, promouvoir l’empathie comme un outil de compréhension de l’autre utile à discerner ses intérêts, ses besoins ou ses failles).

Dissiper la confusion avec la « pensée positive »

Les casseroles du « positive thinking »

Alors qu’elle est occupée à se définir, la psychologie positive va devoir faire face à une polémique sur ses liens supposés avec la très controversée notion de « pensée positive ». Le concept forgé en 1952 par le pasteur réformiste Norman Peale, dont la réputation a été entachée par des prises de position d’une fâcheuse agressivité envers les Catholiques américains (et tout particulièrement le Président Kennedy) a mauvaise presse dans le milieu des sciences humaines.

On reproche à l’idée de « pensée positive » d’entretenir le déni des souffrances jusqu’à la mise en danger de l’intégrité psychique des individus ayant subi des traumatismes. On s’inquiète d’une dépolitisation de l’analyse des situations collectives quand tout serait renvoyé à la responsabilité de chaque individu de voir les choses du bon côté (avec les effets délétères des « pensées magiques » qui vont avec). On s’alarme du risque d’exploitation du principe d’auto-suggestion dans des dérives sectaires. Ou tout simplement, on méprise le blabla ésotérique sans aucune assise scientifique du Pasteur Peale.

La psychologie positive prend ses distances avec la « pensée positive » et pose son cadre méthodologique

Le mouvement de la psychologie positive doit se démarquer pour garantir sa crédibilité. La FAQ du site du Positive Psychology Center de l’Université de Pennsylvanie, organe « officiel » de Seligman et ses disciples, clarifie en trois points :

1/ La psychologie positive s’appuie sur des travaux scientifiques.

2/ La pensée positive est utile pour faire son propre bonheur mais les pensées négatives ont aussi leur place dans un travail sur soi et la psychologie positive préfère parler d’optimisme dans la capacité à se transformer que de méthode Coué pour se convaincre de tout et n’importe quoi à n’importe quel prix.

3/ La psychologie positive n’entend pas remplacer la psychologie traditionnelle mais ajouter une brique au corpus des approches et méthodes disponibles pour renforcer le bien-être individuel et collectif.

La méthode de la psychologie positive en trois piliers

Une fois la paix signée avec les opposant·e·s qui auraient voulu disqualifier d’entrée de jeu le nouveau courant, on peut se remettre au boulot pour en élaborer les théories et méthodes.

Les 3 voies du bonheur authentique

En 2002, Seligman construit un diagramme de Venn qui situe le bonheur authentique au croisement de trois voies de connaissance de soi :

  • Le « pleasant life » qui recouvre tout ce qui provoque à l’individu du plaisir, de la joie et de la sensation de bien-être.
  • Le « good life » dans lequel se range tout ce qui procède des satisfactions sociales et de la participation à un collectif, voire à la marche du monde.
  • Le « meaningful life » qu’il faut comprendre comme ce qui donne sens à sa vie, notamment en se concentrant sur ses vraies priorités.

Si vous parvenez à identifier ces trois points de votre personnalité et à les aligner, alors le bonheur simple est à portée de main.

Le PERMA

EN 2011, Seligman enrichit le modèle en proposant le PERMA, acronyme de :

  • Positive Emotions: à la sensation de bien-être et à la joie, on ajoute l’excitation, la fierté, la gratitude et autres émotions qui réchauffent le corps et l’esprit.
  • Engagement: le « good life » initial intègre le besoin de se mobiliser pour des causes, de contribuer au progrès.
  • Relationships: la fréquentation des autres s’installe en moyen de mieux se connaître soi en même temps qu’en espace-temps de convivialité propice à accumuler de nouvelles émotions positives.
  • Meaning: le sens autorise à interroger en toutes circonstances le pourquoi, et par conséquent, de commencer par challenger la question avant de chercher la réponse.
  • Acccomplishment: les succès, mêmes minimes, que chaque journée apporte doivent constituer un capital de renforcement continu de la confiance en soi.

Le CSV

Seligman s’est associé à Christopher Peterson pour écrire le manuel Character Strengths and Virtues (CSV) qui entend faire pendant à la bible des psychiatres qu’est le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Le schéma CSV repose sur 6 vertus fondamentales que 24 forces de caractère peuvent activer.

Ces 6 vertus sont :

  • La sagesse: c’est l’art de prendre du recul pour laisser place à la diversité en soi et aux différences des autres, pour faire parler sa créativité, prendre le temps de s’inspirer…
  • Le courage: c’est la capacité à douter, mais aussi à agir en cohérence avec ses valeurs.
  • L’humanité: c’est tout ce qui procède de la qualité des interactions avec autrui de de l’intelligence émotionnelle et sociale.
  • La justice: c’est l’esprit de citoyenneté, la volonté en action de contribuer à quelque chose qui dépasse ses simples intérêts individuels.
  • La tempérance: c’est tout ce qui rapporte à la maîtrise de soi, à une forme d’écologie relationnelle qui veut que l’on s’inquiète des impacts de ses actes par-delà les bonnes intentions qui y président.
  • La transcendance: c’est l’ambition d’atteindre l’excellence, jusque dans le champ des savoir-être.

Chacun·e doit identifier ses points forts et points d’efforts en ces 6 champs de vertus : sur les premiers, elle/il s’appuiera pour s’améliorer dans les seconds.

Le formidable succès de la psychologie positive, mur porteur du « développement personnel »

L’accessibilité intellectuelle de la psychologie positive, en même temps que son fond d’optimisme rompant avec la morosité ambiante d’une période de crises économiques et sociales vont lui permettre de rencontrer un formidable succès auprès du grand public. Les ouvrages de Seligman et de ses nombreux disciples s’écoulent comme des petits pains en librairie; le coaching y trouve matière à se développer à vitesse grand V ; les speakers remplissent les salles de conférence…

Et avec ce triomphe, vient celui du développement personnel qui d’un « truc de bonne femme » passe au statut de voie d’avenir du management et du leadership, qu’il faut investir de soft-skills dans un monde de plus en plus rapide, appelant toujours plus d’agilité.

La critique de la psychologie positive : individualisme, déni des systémiques sociales et culte de la performance en question

La critique de la psychologie positive et celle du développement personnel vont dès lors adresser de mêmes questionnements : en rapportant le progrès à la capacité de l’individu à progresser, ne met-on pas sous le tapis la poussière des dysfonctionnements structurels ? Avec ce que cela implique de suspicions sur les éventuelles accointances de la psychologie positive avec les doctrines libérales et utilitaristes qui notifient la valeur de tout sous l’angle de la performance.

La psychologie positive, une invitation déguisée à l’individualisme élitiste ?

Eva Iliouz et Edgar Cabanas synthétisent toute la critique portant sur le risque d’individualisme contenu dans l’engouement pour la psychologie positive dans leur ouvrage Happycratie, paru en 2018. Dénonçant une accessibilité à deux vitesses du droit au bonheur, quand les cadres supérieurs et dirigeant·e·s bénéficient de formations pointues au leadership mais les classes sociales moins favorisées doivent se contenter des reliefs d’une idéologie du bonheur enjoint, les auteur.e.s. s’alarment de ce que l’on sur-encourage les individus à se sentir bien dans leurs baskets personnelles alors que les défis du monde actuel et à venir voudraient plutôt que l’on mette à l’agenda l’urgence de ressouder les collectifs.

A cette critique, les défenseurs et défenseuses de la psychologie positive répondent avec un certain bon sens que pour relever les challenges nombreux et difficiles qui nous attendent, il vaut mieux pouvoir compter sur des personnes solides qui savent où aller et comment montrer le chemin.

La psychologie positive, écran aux dysfonctionnements structurels ?

D’accord, répondent d’autres critiques, c’est effectivement plus malin de nourrir un leadership équilibré que d’avoir aux commandes des pessimistes instables et désemparés. Pourvu quand même que ces leaders positifs ne s’enivrent pas de leur propre satisfaction d’être soi et gardent conscience du fait que tous les problèmes du monde ne se résolvent pas dans la quête du bonheur.

Aux origines de cet appel à la vigilance, il y a les travaux du thérapeute Kirk Schneider, appartenant à l’école de la psychologie existentielle-humaniste, qui questionnent Seligman et ses suivant·e·s sur le régime nazi ou le Ku Klux Klan. On ne refait pas l’histoire mais qu’aurait dit un psychologue positif à des racistes assumés conduisant le projet de structurer massivement un monde suprématiste ? Par extension, que peut la psychologie positive face à la montée des populismes ? Ramènerait-on les Résistants hier, les opposant·es politiques et les lanceurs d’alerte aujourd’hui à des rabat-joie ?

Prise au piège de sa loi du « challenge de la question avant de chercher la réponse », la psychologie positive admet qu’elle ne peut pas se passer de l’histoire, de la sociologie, de la philosophie, des sciences politiques et des autres approches de la psychologie pour donner à lire le monde et apporter des réponses aux grands problèmes qui s’y posent.

Le culte de la performance, une malfaçon de la psychologie positive ?

La troisième grande critique formulée à l’égard de la psychologie positive porte sur son usage au profit de l’optimisation de la performance. Positionnée en axe d’amélioration continue de l’efficacité de l’individu au travail, la psychologie positive valorise la qualité de vie, le bien-être, le respect de soi et d’autrui, l’esprit de justice et l’inclusion, le bonheur et l’intime quête de sens en leviers de productivité.

Les plus pragmatiques en font fi : peu importe par quels moyens on en vient à se préoccuper de l’humain·e, pourvu qu’à l’arrivée, des progrès soient acquis. Les plus politisé·e·s sont moins confiant·e·s : ils soulignent d’une part, en s’adossant aux écrits de Bourdieu, que le tout soft-skills contient un risque de fracture sociale aggravée (les savoir-être valorisés s’acquérant davantage dans le milieu social informel que dans les structures organisées telles l’école ou l’entreprise) et alertent d’autre part sur le pouvoir grandissant que le monde économique prendrait en faisant son affaire du bonheur intime des gens… Aux bénéfices premiers des dirigeant·e·s et actionnaires.

Reçue comme maussade, cette critique est volontiers ramenée à une analyse binairement passéiste des rapports de classe et de forces au travail que les nouvelles formes de relations sociales, d’engagement collectif (réseaux, mobilisations spontanées…) et les attentes exprimées par les collaborateurs/collaboratrices (autonomie, équilibre des temps de vie, valorisation de l’esprit d’initiative et d’entrepreneuriat/intrapreneuriat…) mettraient en échec.

En synthèse : la psychologie positive, oui, mais pas que…

Ce que la critique conteste en fait, ce n’est pas tant la psychologie positive en soi mais son érection, réelle ou crainte, au rang de dogme dans le champ des savoir-être et son hégémonie dans les discours et politiques concernant la transformation des conditions de travail.

Une fois considéré ce risque que comporte toute approche univoque, il convient de conjuguer les indéniables apports de la psychologie positive, à commencer par son pragmatisme, avec d’autres façons d’appréhender les enjeux de transformations économiques et sociales à l’œuvre : l’anthropologie, la (psycho)sociologie, le droit, les sciences politiques, l’économie dans toute la diversité de ses courants et l’ensemble des autres disciplines des sciences humaines et sociales ont leur mot à dire et leur pierre à apporter à l’édifice en construction du travail de demain.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

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