C’est quoi, la psychologie humaniste-existentielle ?

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Il y a quelques mois, nous vous proposions un grand article au format « concept à la loupe » sur la psychologie positive… Nos recherches sur ce courant principalement porté aujourd’hui par Tal Ben-Shahar (ndlr : intervenant à EVE) nous avaient mené·e·s sur les traces d’un autre courant : la psychologie humaniste-existentielle. Mais qui est donc ce cousin de la grande famille des approches inspirant le développement personnel ? La rédaction du webmagazine EVE a enquêté.

Pour une vision positive de l’humain

Allo, Maslow ?

On fait remonter le courant de la psychologie humaniste-existentielle à Abraham Maslow. Mais si, vous connaissez ! C’est le psy qui a modélisé la hiérarchie des besoins : d’abord, la réponse aux urgences physiologiques (manger, boire, dormir au chaud…), puis le sentiment de sécurité, puis le besoin d’affection (appartenance, amour…), puis la reconnaissance et enfin l’accomplissement de soi.

Cette « pyramide » est aujourd’hui assez contestée, la réalité des besoins exprimés montrant que c’est de tout ça en même temps dont nous sommes demandeurs. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, ni ne mettons la charrue avant les bœufs : car avant de devenir ultra-populaire avec sa théorie de la motivation et des besoins, Maslow a développé une approche alors inédite, en rupture avec le behaviorisme, reposant sur une vision positive de l’être humain. C’est le socle de la psychologie humaniste-existentielle.

Allo, Rousseau ?

Maslow n’est pas le premier à considérer que l’humain a beaucoup de bon en soi et aspire à tendre vers le bien. Le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau, entre autres, postule que « la nature a fait l’homme heureux et bon » mais la société le corrompt. Tout nu, tout neuf, tous égaux, on est parfaitement auto-suffisants, bien dans le présent, gentiment innocents, délicieusement pacifistes. Mais ça se gâte quand on fait société : on entre dans des rapports de pouvoir, on joue de faux-semblants, on se pose des questions dérisoires (en tant qu’elles ne sont pas directement liées à notre survie), on se fait des nœuds au cerveau, on traite les autres pas comme il faut, on devient dépendant de trop de choses et on donne le pire de nous-même. Joli tableau, n’est-ce pas ? Alors, il va falloir revenir à nos sources, à notre bonté fondamentale, à notre simplicité bienheureuse. Et pour cela, en passer, selon Rousseau, par la morale.

Allo, Moreno ?

A moins qu’on en passe par la psychologie. Retour au XXè siècle qui voit la naissance de la psychologie, en tant que discipline distincte de la philosophie. Et qui s’en distingue précisément car elle ne s’occupe pas tant de penser l’humain qu’elle entend en prendre soin. Un champ qui passionne le médecin Jacob Levy Moreno. Ce docteur viennois mène des expériences sur les effets de l’intégration dans un collectif des personnes en situation de grande détresse. Bref, tout l’inverse de Rousseau, a priori, puisque pour Moreno, ce n’est pas la société qui empêche l’humain d’accéder à son bien-être fondamental, mais au contraire, l’isolement. Moreno va par exemple organiser l’accueil de réfugié·e·s en créant des communautés d’affinités : il réunit celles et ceux qui ont un vécu, des intérêts, une culture en partage afin qu’ils/elles se sentent « appartenant », condition nécessaire à la possibilité de s’exprimer.

Le pouvoir de s’exprimer, ce sera justement la grande affaire de Moreno : il croit intensément en la créativité spontanée de l’être humain et en la force de cette créativité pour le guider vers l’épanouissement. Pour élaborer ses méthodes thérapeutiques, il emprunte au théâtre, parfait espace de libération de l’énergie créatrice dans le cadre protecteur du jeu. C’est ainsi qu’il va inventer le psychodrame et le sociodrame, en tant qu’exercices de mise en scène des problématiques émotionnelles visant à l’expression des non-dits et des blessures enfouies. Moreno prend place parmi les précurseurs de la psychologie humaniste-existentielle parce qu’il place précisément l’action créatrice au cœur du processus de connaissance de soi associée à la liberté de se choisir.

Connaissance de soi et liberté de se choisir

Être soi n’est pas une pathologie !

Premier pilier de la psychologie humaniste-existentielle, inspiré de l’humanisme : être ce qu’on est n’est pas un drame en soi. Il n’est pas pathologique d’avoir des failles et des cicatrices, des soucis et des peines, des questionnements et des doutes. Cela fait partie de la vie : elle nous traverse, elle nous marque, elle nous change. Ce qui est plus embêtant, c’est quand, justement, nous résistons tellement à la vie que nous nous mettons à souffrir sans nous le dire, à endosser des rôles sans savoir que nous portons des masques, à jouer une vie qui n’est pas la nôtre en cherchant à atteindre un improbable idéal de soi. La psychologie humaniste-existentielle nous invite à nous défaire des costumes qui ne nous vont pas, qu’ils soient trop étroits ou bien trop lourds à porter. On se regarde en face : elle n’est pas si mal que ça en fait, la personne qui se reflète dans le miroir ! Il faut l’adopter, c’est vrai. Toute cette soudaine authenticité, ça fait bizarre ! Pas de panique, le processus de (re)découverte de soi est suffisamment long et approfondi pour qu’on s’habitue progressivement et naturellement à son être-soi.

Responsabilité et liberté

Second pilier de la psychologie humaniste-existentielle, qui se rapporte plutôt à l’existentialisme : la liberté de l’individu. Chacun·e est responsable de soi. Aucune thérapie, aucun programme de développement personnel, aucune démarche de quête de ses valeurs, besoins ou motivations ne peuvent être forcés. Seulement accompagnés. Celui ou celle qui accompagne a l’humilité de ne pas prétendre savoir à l’avance où va l’autre, à quel rythme il/elle se meut, ce qu’il/elle va faire de ce que l’accompagnement lui enseigne.

Enfin non, ne lui « enseigne » pas. Car cette approche est tout sauf descendante : elle vise au contraire à rendre à l’individu sa capacité à juger par soi-même et à décider pour soi-même. Ne comptez pas sur le/la psy pour vous dire quoi faire ! Ce que vous allez apprendre avec cette approche, c’est à prendre les conseils des autres pour ce qu’ils sont : des regards (pas forcément inintéressants) sur votre situation, des interprétations (possiblement judicieuses), des propositions (éventuellement utiles) mais en aucun cas des influences et moins encore des injonctions. La seule personne qui sait ce qui est bien pour vous, c’est vous. Il vous faut juste avoir les outils et être dans un état psychique suffisamment serein pour identifier vos besoins et choisir vos chemins.

Courants & cousinages

La psychologie humaniste-existentielle se déploie à travers plusieurs courants et se rapproche d’autres démarches de développement personnel. Petite cartographie :

 La Gestalt Thérapie : l’individu en contact avec son environnement

Fondée par les époux Perls peu après la Seconde guerre mondiale, la Gestalt veut rénover le Freudisme qui regarde le conflit comme un mal pour promouvoir une saine agressivité. Soyons réalistes : nous sommes quotidiennement au contact de notre environnement et c’est possiblement (très) contrariant : les gens nous énervent, les situations nous frustrent, les process nous oppressent, la météo nous contraint, les aléas nous font perdre du temps etc. On se frotte à la vie et c’est parfois caressant mais parfois irritant, voire un traumatisant.

Focussons sur cette « frontière-contact » qui provoque nos réactions émotionnelles : c’est cette zone d’échange entre la subjectivité individuelle et la relation au monde qui est notre terrain d’action. Il nous faut comprendre ce que sont les tenants et aboutissants de cette emprise partagée entre soi et l’environnement : quels enjeux s’y jouent ? Qu’est-ce qu’on craint quand on est « heurté·e » par quelque chose (une parole, une attitude, une action…) ? Qu’est-ce qui nous échappe quand on analyse cette situation avec des grilles d’interprétation toutes faites (« c’est de la jalousie », « c’est du rapport de force », « c’est injuste », etc.) ? Quelles autres postures peut-on adopter pour lire la situation ? Cet ensemble de questionnements permet d’affermir sa position (notamment pour fixer ce que l’on accepte et ce que l’on n’accepte pas), tout en développant des qualités relationnelles plus souples (assertivité, négociation…) que les réflexes d’ (auto-)agressivité.

 L’ACP : empathie, congruence, considération positive inconditionnelle

L’approche centrée sur la personne (ACP) est fondée par Carl Rogers. Ce psychologue humaniste, resté célèbre dans les annales de la promotion de la paix pour des actions de facilitation en divers points chauds du globe (Afrique du Sud, Irlande, pays issus de la désagrégation de l’Union soviétique) pose trois principes à sa méthode :

  • L’empathie : le/la thérapeute cherche à comprendre le point de vue de l’autre et pour cela, se défait de tout jugement.
  • La congruence : le/la thérapeute ne joue pas le/la sachant·e et s’interdit toute position de domination dans la relation avec le/la patient·e. Il/elle fait tomber le masque du professionnel caché derrière sa stature pour proposer une relation équitable.
  • La considération positive inconditionnelle : le/la thérapeute laisse sa morale au vestiaire, pour accueillir les émotions, le récit, les attentes de son/sa patient·e tels qu’ils sont. Il/elle n’est pas là pour interpréter, pour évaluer, pour classifier mais bien pour permettre à l’autre de s’exprimer dans un cadre sécurisant, propice à la définition de ses propres réponses et solutions.

Cette approche qui place la qualité de la relation en son cœur, doit permettre à l’individu de renforcer sa confiance, en soi et envers les autres, de façon à ce qu’il puisse accueillir tout ce qui provoque des émotions et le gérer en cherchant des voies « amiables » et respectueuses de soi comme d’autrui.

La non-directivité : dialogue et coopération

La psychologie non-directive prolonge l’Approche Centrée sur la Personne en s’intéressant avant tout à ce qui, dans la relation, fait obstacle à la communication. C’est un problème de fréquence : on n’est pas forcément branché·e·s sur les mêmes ondes. Du coup, on cause, on cause, mais il se peut que faute de s’être mis d’accord sur le « canal » commun de la conversation, l’on ne parle pas du tout de la même chose. Par exemple, vous êtes en train d’adresser à votre manager le sujet de votre temps de travail sous l’angle de vos problématiques d’articulation des temps de vie et votre manager trouve le sujet « temps de travail » hautement pertinent car justement, il a en tête un plan pour optimiser l’efficience de vos heures de boulot. Dans l’absolu, vos deux propos se rejoignent, mais pour l’heure il y a juste un gros malentendu. Il va donc falloir régler le « média », à savoir installer les conditions du dialogue. En annonçant franchement sa thématique : basta les enjeux cachés et autres discours indirects ! Et il est fondamental de valider que l’autre a bien pigé : « non, non, je ne suis pas venu·e parler réorganisation, mais bien articulation des temps de vie, avec des besoins concrets que je souhaite exprimer ». Bien entendu, « on pourra aussi parler de réorganisation du travail, mais pour l’instant, je propose qu’on disjoigne les deux sujets ». Bref, on s’affirme pour ouvrir un champ de « coopération active » qui prend en compte les problématiques de l’autre, en se montrant disponible pour les écouter et les considérer, tout en demandant la même implication commun pour nos sujets.

La logothérapie

Issue des travaux du neurologue Viktor Frankl, la logothérapie prend pour axe le « sens de la vie ».  Pour ce grand optimiste, ce qui anime l’humain·e, c’est d’abord et par-dessus tout la quête d’une raison d’être. Refusant la méfiance de beaucoup de psys à l’égard des croyances religieuses, Frankl défend une approche par les valeurs. On ne va pas bien, nous dit-il, quand on n’est pas aligné·e, dans ses actions, avec ce qui compte le plus pour soi. Et c’est là qu’on se met à souffrir et potentiellement a faire du tort aux autres. Il faut donc pouvoir identifier le socle de ses propres fondamentaux… A quoi nous ne renoncerions jamais quelles que soient les circonstances ? De nature identitaire, ce corpus de valeurs est la base de l’estime de soi. Celle-ci se nourrit donc de lucidité (sur ce qui compte vraiment pour soi, même si ce n’est pas ce que la société ou la culture enjoignent) et d’intégrité. Cette intégrité se matérialise dans l’entéléchie, une notion aristotélicienne qui indique la mise en cohérence de la volonté et des actes. L’individu qui agit en fonction de ce qu’il veut vraiment, au fond de lui, en se débarrassant notamment des fausses raisons et des compromissions inutiles, court vers son bonheur… Et fait le bien autour de lui.

L’analyse bioénergétique

Dans le champ de la psychologie existentielle-humaniste, on range aussi le courant controversé de l’analyse bioénergétique. Définie comme une « approche des profondeurs », l’analyse bioénergétique entend casser, pour commencer, la séparation du corps et de l’esprit. Nos expériences, disent les bioénergéticien·ne·s, atteignent des « anneaux de tension » situés dans la bouche, les yeux, le ventre et autres parties du corps. Celui-ci réagit en adoptant des postures de compensation : on respire mal, on marche mal, on mastique mal, on place mal sa voix, on se tient mal et… On a mal. Partout. Comme le/la patient·e vient avec ses symptômes, commençons par les traiter : le thérapeute titille les « anneaux de tension » en les soumettant à une pression (par exemple en appuyant une masse sur la partie du corps en souffrance) ou en les mettant en mouvement (allez, si tu as mal aux pieds, on va marcher !). Par ce processus, le/la patient·e est supposé·e prendre conscience des dimensions multiples de sa douleur, libérer les émotions que celle-ci suscite, identifier les défenses corporelles qu’il/elle a mis en place pour surmonter les difficultés de la vie et trouver d’autres moyens, plus souples, de réagir en cas de difficultés et surtout de se prémunir des effets somatiques de ce qui le/la touche.

Regards critiques : la psychologie existentielle-humaniste en frottement avec d’autres approches de du bien-être

Vaste spectre englobant de nombreux courants, la psychologie existentielle-humaniste ne saurait faire l’objet d’une critique univoque. Toutefois, quelques-uns de ses grands fondamentaux sont questionnés par certain·e·s approches des sciences humaines et ses modalités d’application rappelées à la nécessité d’une déontologie catégorique.

L’optimisme est-il un humanisme ?

Souvenez-vous du premier postulat des existentialistes-humanistes : l’humain est bon. Que ce soit vrai ou non, c’est une croyance nécessaire à ce grand courant de la psychologie. Autrement dit, l’optimisme y préside. Mais est-on sûr que l’optimisme est un humanisme ? Si on s’en réfère aux philosophes de la bonté, au premier rang desquels Leibniz, il y a débat… Car derrière l’optimisme, il y a l’idée que la perfection n’est pas de ce monde (puisqu’elle n’appartient qu’au divin) mais qu’en même temps, elle infuse le monde à travers le miracle de la nature. Autrement dit, la conviction que le « bon » absolu est par essence en chacun·e de nous, délivré par les Dieux et la nature, n’est pas très compatible avec la liberté de définir, via l’esprit critique en particulier, une morale à soi. On serait donc souvent tenté·e, dans l’approche existentialiste-humaniste, de s’en référer à des critères conservateurs du bien, du sain, du juste…  Au risque d’oublier la dangerosité politique de toute systémique adossée à la certitude de faire le bien entre gens de bien.

Les impasses de la liberté, les pièges de la sur-responsabilité

L’optimisme des humanistes est en quelque sorte contrebalancé par la liberté des existentialistes. Mais là encore, qu’est-ce que liberté veut dire ? On en sait la limite, à l’échelon individuel, quand celle des un·e·s s’arrête où elle entrave celle des autres. Mais au-delà de cet avertissement proverbial, peut-on résumer la liberté à la possibilité de choisir ? Philosophiquement, oui, la liberté, c’est l’exercice conscient de la volonté. Sur le plan socio-économique, c’est plus compliqué. Car la liberté ne dépend pas que de la force d’âme (s’en fiche des préjugés, être suffisamment confiant·e pour s’affirmer, avoir assez d’audace pour briser les barrières invisibles etc.) mais aussi du contexte structurel dans lequel les un·e·s et les autres s’inscrivent. Pour prendre un exemple direct : ma liberté d’identifier le sens de ma vie et de mettre toutes mes actions en cohérence avec celui-ci n’est pas la même si j’ai un job très contraint, peu rémunérateur et peu producteur de liens sociaux variés que si j’ai une vie professionnelle peu contrôlée par la hiérarchie, m’apportant des revenus suffisamment confortables pour envisager l’avenir en termes d’arbitrages pragmatisme/sens.

Ce déni de la matérialité des rapports sociaux que contiennent plusieurs approches du développement personnel est au cœur de la critique que porte, entre autres, la sociologue israélienne Eva Illouz qui y voit par ailleurs une rhétorique de la sur-reponsabilisation susceptible de davantage nuire à certains individus qu’elle ne les aidera. Elle souligne en particulier l’existence d’une facture implicite de l’autonomisation dogmatique : on vous donne votre liberté, faites-en bonne usage car si vous vous plantez, ce ne sera que votre échec. Certes, ce scénario catastrophe pousse le logiciel de responsabilisation à l’extrême, mais il a le mérite de mettre un gros point de vigilance : l’autonomisation exige un cadre sécurisant, un environnement solidaire et des règles du jeu équitables.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE