La place des femmes dans les start-ups

Eve, Le Blog Actualité, Egalité professionnelle

On place tou·te·s beaucoup d’espoir dans « la nouvelle économie » : nouveaux relais de croissance, nouveaux modes de travail, solutions innovantes pour la transition écologique, pour l’accès aux soins, pour la lutte contre la pauvreté… Mais que peut cette « nouvelle économie » pour l’égalité professionnelle et le leadership équilibré ?

La place des femmes dans les start-ups nous invite à réfléchir et à agir pour que l’ère de tech soit aussi l’ère de la mixité.

Combien de fondatrices de start-up ?

Selon la dernière étude BCG pour Sista, 8% des start-ups françaises sont fondées par des entreprises strictement féminines. 16% des start-ups françaises sont fondées par des entreprises mixtes. 76% des start-ups françaises sont fondées par des entreprises strictement masculines.

Bon, le constat est sans appel : start-upper reste un substantif principalement masculin. Et ce n’est pas des hommes de la tech qu’il faut attendre un changement : la même étude BCG révèle que 82% des fondateurs de start-ups s’entourent exclusivement d’hommes pour se lancer. En revanche, les femmes jouent la carte de la mixité : 68% des fondatrices de start-ups s’entourent d’une équipe mixte pour se lancer.

Toutefois, le cabinet BCG a pu établir des projections qui indiquent qu’au rythme où vont les choses, on peut s’attendre à ce qu’en 2055, 60% des équipes fondatrices soient mixtes. Il n’y avait que 5% de start-ups dans ce cas en 2008.

Quels fonds pour les start-uppeuses ?

Qu’est-ce qui permet de croire en cette formidable progression de la mixité dans les années à venir ? L’intérêt des financeurs !

En effet, les start-ups qui ont des équipes mixtes à leur tête ont des chances 1,4 fois supérieures d’obtenir des financements au lancement que les start-ups ayant des équipes strictement masculines à leur tête, nous indique encore cette étude produite par le collectif Sista. Mais dans le même temps, les équipes composées exclusivement de femmes lèvent des montants 4,3 fois inférieurs à ceux levés par les équipes strictement masculines. Autrement dit, pour une start-uppeuse, s’entourer d’hommes, c’est potentiellement multiplier par 4,5 les montants de cash disponibles pour lancer son projet.

Pour les équipes masculines, intégrer des femmes représente un gain beaucoup plus modeste : le multiplicateur est de 0,4 pour les fonds additionnels à attendre d’un effort d’inclusion. C’est d’autant moins vital que si le bénéfice à faire équipe mixte est sensible à l’amorçage, ce n’est plus du tout le cas quand on passe aux séries B et C. Là, les investisseurs semblent se désintéresser de la parité entre autres critères extrafinanciers, et ce sont les équipes 100% masculines qui raflent le (très) gros de la mise.

Du coup, si on prend en compte l’ensemble des levées de fonds (seed, séries A, B et C), les hommes collectent 88% des montants disponibles pour le financement des start-ups.

Un problème de secteurs ?

Si le critère du genre des dirigeant·e·s intéresse de près les acteurs de la finance qui ont parfaitement intégré le paradigme d’une mixité productrice de performance, on ne peut pas non plus s’attendre à ce que business angels (parmi lesquels on ne compte que 9% de femmes), fonds et capital-investisseurs (chez lesquels les femmes représentent 27% des détenteurs de portefeuilles) fassent autre chose que leur travail : financer des projets à la hauteur de ce qu’ils peuvent en attendre de gains à la sortie.

Aussi, avant de les accuser de verser dans le sexisme dès qu’il s’agit de très gros sous, tâchons d’analyser leur système de préférence pour les projets à financer : ils voient actuellement un maximum d’opportunités dans le champ du big data, de la deeptech, des AI, des biotechs, des fintechs, de la robotique. Or, ce sont des secteurs où les dirigeantes sont particulièrement rares : aujourd’hui moins de 2% des start-ups dans la robotique, 3% dans l’IA sont créées par des femmes, 9% dans la fintech, 15% dans le big data et elles ne comptent que pour 18% des associé·e·s dans la biotech.

Dans la nouvelle économie comme dans l’ancienne, les femmes sont plus nombreuses dans les secteurs des services à la personne, du social, du commerce, de la « tech4good » (que l’on pourrait rapprocher d’une forme d’ESS 2.0).

Un problème d’ambition ? 

Mais même dans les secteurs où elles sont sur-représentées dans l’économie traditionnelle, on voit moins de femmes que d’hommes entreprendre dès lors qu’il y a une dimension tech.

Mais qu’est-ce qui leur laisse penser que les nouvelles technologies, ce n’est pas pour elles ?

La très instructive étude IPSOS-Epitech consacrée aux modalités d’orientation des filles et des garçons vers les métiers du numérique nous apprend que si 56% des lycéennes s’intéressent à l’informatique, seulement 37% pense s’orienter vers des études d’ingénieur·e ou d’informatique. En cause, un sentiment de ne pas être à la hauteur : parmi les lycéennes ayant une moyenne générale d’au moins 14/20, 43% se pensent capables de faire des études d’informatique, contre 78% des garçons ayant un même niveau scolaire. Syndrome de l’imposteur, quand tu nous tiens !

Il n’y a qu’à œuvrer à leur donner confiance, à ces adolescentes, en les rassurant sur leurs compétences et en les encourageant. Oui, mais voilà, la même étude nous dit que 33% des filles sont encouragées par leurs parents à s’orienter vers les métiers du numérique tandis que 61% des garçons bénéficient du soutien de leur famille dans ce projet d’orientation. Cela voudrait donc dire que des biais de genre s’infiltrent sournoisement dans les projections que nous faisons pour nos enfants et dans nos façons d’accompagner leur orientation ? Pensez-vous !

Sexisme réel et sexisme perçu dans l’univers de la tech

Évoquons un autre frein exprimé par les lycéennes : 38% de celles qui envisageraient de s’orienter dans les métiers des nouvelles technologies pensent qu’il est difficile pour une femme de faire sa place dans le milieu de la tech. Elles s’y projettent comme des « outsiders » qui devront se bagarrer pour faire valoir leur légitimité dans un univers perçu comme insuffisamment inclusif.

Une croyance limitante ? En partie, car le sexisme dans la tech n’est pas qu’une illusion si l’on en croit l’étude GenderScan de 2022 : 46% des femmes qui travaillent dans la tech déclarent avoir déjà été confrontées à des comportements sexistes. C’est 8 points de plus que les femmes de tous secteurs confondus.

La « culture geek » est-elle en cause ? En tout cas, les représentations mentales associent volontiers le profil tech à un jeune homme vivant une masculinité peu déconstruite et la fraternité en zone de potacherie décomplexée. L’imagerie est sans doute éloignée de la réalité pour la majorité de ceux qui entreprennent et exercent dans la tech, d’autant, nous dit la chercheuse Isabelle Collet, autrice de l’ouvrage Les oubliées du numérique, que loin d’être une sous-culture spontanée, le « geekisme » est historiquement un instrument de marketing genré : en effet, le « geek » est apparu avec l’objectif de l’industrie du PC de conquérir le marché des ménages ; ménages auxquels on a présenté l’ado gars boutonneux et grommelant qui ne semblait bon à rien en petit génie de l’informatique en puissance ! S’il y a donc une part de fantasme dans l’appréhension du monde des start-ups comme un univers de mâles primaires, il ne faut pas non plus négliger la réalité de la masculinité toxique dans la tech, nous dit Emily Chang dans son essai Brotopia. Ce qu’elle décrit de la Silicon Valley en environnement très peu inclusif (malgré les apparences de diversité que les communicants voudraient en donner sur les supports d’image de marque) ne peut que pousser les dirigeant·e·s de ces entreprises d’un nouveau genre à muscler leurs politiques d’égalité, de lutte contre les discriminations et de développement de la culture de l’inclusion.

La parentalité des start-uppers, un espoir pour l’égalité ?

Au cœur de ces politiques, la question de la parentalité tient une nouvelle place toute particulière. En effet, évolution de la pyramide des âges aidant, la « nouvelle économie » est aujourd’hui pleinement confrontée à des enjeux qui ne la concernaient pas (ou peu) il y a encore 10 ou 15 ans. La question de la conciliation des temps de vie en raison de contraintes familiales préoccupe directement 37% des salarié·e·s de la tech en France.

Mais 22% des femmes et 8% des hommes qui travaillent dans ce champ estiment que faire appel aux dispositifs d’accompagnement de la parentalité pourrait pénaliser leur carrière, nous renseigne l’étude GenderScan 2022. Toutefois, dans la tech (et c’est une exception particulièrement notable dans le paysage du travail), la part d’hommes qui prennent un temps partiel (21%) est sensiblement équivalente à celle des femmes (22%). Il faudrait cependant approfondir les motivations qui président à ce choix d’organisation : est-ce prioritairement pour prendre soin de ses enfants ou pour « slasher » plus aisément. Les datas disponibles ne le disent pas…

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE