Rencontre Présage « femmes/hommes : penser l’égalité »

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Nous y étions, nous vous racontons…

 

A l’occasion de la parution de Femmes/hommes : penser l’égalité, vaste ouvrage collectif transdisciplinaire voué à ouvrir le débat avec l’ensemble des acteurs de la société (universitaires, associatifs, entreprises, partenaires sociaux…), le Programme PRESAGE organisait lundi dernier une grande rencontre rassemblant des expertes de renom telles la sociologue Sandrine Dauphin (co-directrice de l’ouvrage), les économistes Françoise Milewski, Rachel Silvera et Hélène Périvier, la neurobiologiste Catherine Vidal, l’historienne Sylvie Schweitzer, les politistes Janine Mossusz-Lavau et Réjane Sénac (co-directrice de l’ouvrage).

Catherine Thibaux y était. Elle a trouvé les échanges passionnants et effectivement très porteurs pour questionner en finesse toutes les tensions individuelles et/ou collectives qui s’exercent quand on aborde les questions complexes d’égalité femmes/hommes.

 

Une résistante ambivalence entre héritage républicain et biologisation du social

En introduction de la conférence, les co-directrices de l’ouvrage Femmes/Hommes : penser l’égalité posent les termes du débat : l’égalité femmes/hommes se heurte depuis deux siècles à une forte ambivalence dans la société française entre un idéal républicain d’égalité et une tentation de biologiser le social. Un peu comme si la limite au principe de justice fondamental que chacun-e semble pourtant tenir acquis serait la « nature » des sexes, qui justifierait l’exclusion des femmes de ce principe. Un recours à l’idée d’une nature qui de surcroît, disent d’emblée les intervenantes, s’opère avec une vigueur renouvelée à chaque avancée majeure en faveur de l’égalité.

Pourtant, les progrès sont bien là : au mouvement associatif féministe des quarante dernières années, on doit indiscutablement des mentalités globalement plus ouvertes, une généralisation du travail des femmes et un arsenal législatif assez complet qui devraient permettre à l’égalité de se réaliser effectivement. Sauf que…

 

Articulation et porosité des temps de vie : a-t-on posé le problème dans les bons termes?

La première table ronde de cette rencontre, rassemblant les économistes Hélène Périvier, Françoise Milewski et Rachel Silvera, s’attaque directement au sujet à la fois le plus concret et le plus apparemment insoluble du débat sur l’égalité : la question des temps de vie.

Pour entrer dans le vif du sujet, Hélène Périvier affirme qu’il serait trop aisé de renvoyer indéfiniment la question des inégalités professionnelles à celle de l’organisation des temps. Et Françoise Milweski d’enchérir : « les discriminations existent, dans le monde du travail, indépendamment des conditions d’organisation de la vie familiale pour les femmes et les hommes. Il faut assurément réfléchir sur les temps de vie mais il faut aussi traiter ces discriminations en tant que telles. »

Cela étant posé, on ne se cachera pas non plus derrière son petit doigt puisque les statistiques le montrent, ce n’est pas parce qu’elles travaillent désormais massivement que les femmes ont vu les tâches se répartir équitablement au sein de leurs foyers, tant s’en faut. Hélène Périvier note que c’est la vision de l’emploi des femmes qui n’a historiquement pas changé dans ses fondamentaux « On est passé, au sortir de la Seconde guerre mondiale du modèle « Monsieur Gagne-Pain et Madame Au-Foyer » au modèle « Monsieur Gagne-Pain et Madame Gagne-Miette« . La perception du salaire féminin comme un « salaire d’appoint » tend à perdurer.

Les politiques publiques, se « contorsionnant » pour s’adapter au mouvement d’émancipation, complète Hélène Périvier, ont plutôt conforté cet état des mentalités, offrant des solutions souvent piégeuses pour les femmes, telles hier l’allocation salaire unique ou plus près de nous le congé parental à temps partiel.

 

Partenaires sociaux : quels acteurs pour l’égalité?

Rachel Silvera, dont les travaux portent en large partie sur les syndicats dans le périmètre européen, aborde la position des partenaires sociaux sur ces questions.

Position progressive, il faut le reconnaître, puisqu’ils traitent aujourd’hui de la question, s’y forment et se dotent d’outils pour la traiter. Position ambiguë cependant, qui vient d’abord questionner la faible représentation des femmes dans leurs instances dirigeantes (et partant, celle de la mixité des filières, puisque dans certaines branches très « genrées » on préfère parler de « juste représentation » plutôt que de parité). Position ambiguë encore quand les syndicats se méfient des politiques ciblées sur une catégorie de salarié-es plutôt que s’adressant à la majorité. Position enfin en possible rivalité avec les réseaux de femmes qui les contournent et dont l’objet leur semble être de favoriser une certaine catégorie de femmes, les plus éduquées et les plus privilégiées.

Ce dernier point méritant d’être déminé, Françoise Milewski démonte les théories glissantes d’une prétendue « lutte des classes féminines ». Si la précarité des femmes est croissante, ce n’est pas aux femmes « de l’élite » que d’aucun-es préjugent préoccupées de leur émancipation personnelle plutôt que du sort de toutes les femmes qu’il faut en faire le reproche. Il faut regarder du côté des évolutions du marché du travail (flexibilité), de la pénurie de solutions de gardes d’enfants, de l’inertie de la répartition des taches ménagères et des mutations des structures familiales (monoparentalité) pour comprendre comment la précarité globalement croissante a frappé encore plus fort sur les femmes que sur les hommes.

 

Le « care » : de vrais métiers, pas des extensions des compétences naturelles féminines

La question de la considération des emplois traditionnellement « féminins » arrive donc sur le tapis. Les intervenantes estiment que les métiers dits « du care » sont encore trop souvent regardés comme des extensions des compétences dites féminines de la vie intime et non comme de vrais métiers.

Or, il s’agit bien d’un investissement social massif et d’un vrai gisement d’emplois. Les valoriser est assurément un enjeu majeur des prochaines années, où les besoins n’iront qu’en augmentant, du fait du veillissement de la population en particulier.

 

Contrer les résistances à l’égalité

La dernière table ronde de cette rencontre accueille Catherine Vidal, Janine Mossusz-Lavau et Sylvie Schwweitzer qui, ensemble, tâchent de penser le sens des résistances au mouvement en faveur de l’égalité des sexes.

Ces poussées réactionnaires se concrétisent systématiquement, dit Catherine Vidal, par une résurgence des idées essentialistes. Alors, comment dire oui à la différence, aux différences, sans pour autant se laisser emprisonner dans les rhétoriques d’une complémentarité qui renverrait indéfectiblement les femmes à des fonctions induites par leur sexe? En rappelant les découvertes sur la plasticité du cerveau, dit la neurobiologiste, découvertes qui amènent à reconnaître que tout s’apprend, tout au long de la vie, et avec des potentialités identiques, que l’on soit homme ou femme.

En considérant par ailleurs, dit la politiste Réjane Sénac, que notre conception de la naturalité n’est pas moins sociale et « politisée » que quoi que ce soit d’autre et qu’il n’y a aucune raison d’exclure « la nature » du champ de la réflexion et de la mise en question de ce que l’on croit des évidences, mais qui contiennent leur part de croyances.

En pensant encore, conclut l’historienne Sylvie Swhweitzer, les évolutions dans le temps. Elle distingue quatre grandes phases dans l’histoire de l’égalité femmes/hommes : une première période, correspondant au XIXè siècle, d’exclusion des femmes de la sphère sociale au principal motif de maternité, suivie d’un temps de la mixité où les femmes ont acquis le droit de vote, investi le champ des études universitaires et conquis peu à peu les sphères publiques sans que rien ne change cependant pour elles du côté de la vie privée, une troisième phase qui a vu la concrétisation en termes juridiques du principe d’égalité (c’est de cette période que date la majeure partie de notre corpus de loi anti-discriminations). Vient maintenant le temps de la parité, qui devra être celui de l’effectivité de l’égalité, dans toutes les sphères.

L’étape sera-t-elle plus difficile à franchir que les autres? L’historienne opte pour une posture d’optimisme raisonné : les progrès accomplis en 150 ans sont énormes, ramenés à l’échelle du temps long de l’humanité, il y a donc lieu de croire que le changement est réalisable. Pour autant, l’ensemble des participantes à ces tables rondes refusent d’accorder une confiance aveugle au temps qui passe : c’est en agissant qu’on fait progresser l’égalité, pas en attendant sagement que les mentalités se transforment d’elles-mêmes sans que rien ne soient exigées d’elles.

 

 

Catherine Thibaux, avec Marie Donzel, pour le blog EVE.