La galanterie, has been ou pas ? On en parle !

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On tient la porte aux dames. On ne parle pas d’argent en leur présence (d’ailleurs, on règle discrètement l’addition pour elles). On porte les sacs à leur place. On les aide à ôter ou à enfiler leur manteau. Dans la rue, on leur laisse « le haut du pavé », c’est-à-dire la partie du trottoir qui ne donne pas sur la chaussée afin de leur épargner risques d’éclaboussures ou passage à ras d’un véhicule. Dans les escaliers, on passe devant les femmes : en descendant, pour pouvoir les rattraper si elles trébuchent ; en montant, pour ne pas laisser penser qu’on les reluque. On complimente la tenue mais sans lourdeur : « cette couleur vous va à ravir » vaut mieux que « la robe moulante, ouah, ça met vachement ton boule en valeur ». On ne la laisse pas se servir elle-même à boire (on ne la saoule pas non plus, au propre comme au figuré). Dignes du folklore parfaitement dépassé, ces coutumes du « savoir-vivre » en présence du sexe opposé ? Pas si sûr, si l’on en croit l’attachement manifeste à la galanterie d’une large partie de la population française quand on entend pousser le bouchon de l’égalité jusqu’à la qualifier de sexisme bienveillant. Pour y voir plus clair, on en parle !

Sexiste, la galanterie ?

Commençons par une brève synthèse de l’argumentaire de celles et ceux qui regardent la galanterie comme une forme de sexisme.

Primo, même si cela procède de bonnes intentions, c’est dans le principe même une asymétrie de traitement : pourquoi interagir différemment avec une femme et avec un homme ?

Deuzio, cette codification des usages cache (à peine) des stéréotypes et des assignations genrées : les femmes seraient plus vulnérables, plus délicates, plus sensibles, plus pudiques ; les hommes plus forts et donc rassurants, protecteurs… Ce qui ne serait rien si cette comédie de mœurs ne sous-tendait une institutionnalisation de l’échange économico-sexuel.

De quoi ? L’anthropologue Paola Tabet qualifie ainsi une implicite transaction dans laquelle les femmes donnent accès à leur intimité en contrepartie de compensations matérielles ou symboliques… Être traitée en princesse par un prétendant relèverait de cette rétribution qui ne dit pas son nom. Autrement dit, le restau n’est pas gratuit, il est remboursable plus tard dans la soirée ou dans la vie ; les gestes courtois ne sont pas désintéressés, ils appellent en retour d’aimables sollicitudes ; les marques de prévenance ne sont pas altruistes, elles placent sous dépendance…

Malentendus sur l’art d’être courtois ?

Pour certains, voir dans la galanterie un code implicite de subordination des femmes, c’est un peu pousser mamie dans les orties (alors qu’on ferait mieux de lui offrir des fleurs). Et c’est surtout faire fi de traditions qui n’entendent pas asservir le « beau sexe », mais puisent dans l’amour courtois les principes d’une éducation à la maîtrise des pulsions et à la sublimation des relations.

La courtoisie repose sur un entraînement calqué sur la préparation aux tournois. Il y va donc de compétition… Par la distinction. Car en montrant à une dame ses bonnes manières, le jeune homme manifeste aussi son élégance auprès du Seigneur. En d’autres termes, l’amour courtois ne vise pas qu’à obtenir l’attention de la femme courtisée mais s’adresse aussi au regard des autres. Autrement dit, il faut se montrer galant, au sens propre de l’expression.

Galant à l’extérieur, pour quel homme d’intérieur ?

Mais alors, si la galanterie est un message qui valorise socialement l’homme qui en témoigne, quid de la sincérité de ses égards pour la gent féminine, et tout particulièrement en l’absence de regards extérieurs ? Est-ce que la galanterie garantit le respect de l’autre en tout temps tout lieu ? Est-ce que l’acte de tenir les sacs dans la rue pour soulager le dos de madame se prolonge dans tous les gestes de la vie quotidienne pour soulager sa charge mentale et partager les responsabilités domestiques et familiales ?

En tant que jeu de rôle social, la galanterie n’engage à rien dans la sphère de l’intimité. Folle qui se fierait donc à des attentions précautionneuses lors d’un rendez-vous charmant en extérieur et croirait avoir déniché la perle rare de (futur) conjoint attentionné, délicat, soucieux avant tout de faire le bien-être de sa bien-aimée, prêt à toutes les révérences pour lui plaire. Il se peut bien entendu que ce soit le cas, mais ce ne serait alors que corrélation, sinon coïncidence. Ce serait la chance, car la galanterie n’est en rien une garantie du respect.

Le respect : par et pour tou·te·s !

Pourtant, au fond, n’est-ce pas justement au respect que l’on aspire, femmes comme hommes, dans nos relations avec les autres individus, indépendamment de leur genre ? Ce qu’on veut, c’est ne pas se prendre les portes dans la figure et éviter de les renvoyer sur le nez d’autrui ; et au passage, entrer en relation avec la personne qui nous précède ou nous suit au travers d’un regard sympathique ou d’un sourire aimable. Entre humain·e·s, ça se fait. Ce que l’on espère, c’est de l’entraide. De l’attention. De la prévenance, de la bienveillance, de l’empathie. Ce à quoi l’on s’attache, c’est aux postures qui rendent possible l’altérité. Ce qui compte, c’est l’authenticité et la constance dans les manifestations de l’intérêt porté à l’autre. Finalement, tout cela n’est ni réductible aux relations femmes/hommes ni soluble dans quelque tradition coutumière. Alors, has been, la galanterie ? En tout cas, probablement appelée à se réinventer pour investir pleinement le vivre-ensemble… En mixité !

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE