La place des femmes dans les conflits… Et la paix !

Noémie Messéan Actualité, Dernières contributions, Responsabilité Sociale

Plus de 30 guerres et conflits armés sont en cours dans le monde : de l’Ukraine au Tigré, du Yémen au Mozambique, du Tchad à la Birmanie, du Moyen-Orient au Haut-Karabagh… La question de la paix dans le monde est d’autant plus cruciale aujourd’hui qu’elle croise les défis climatiques et l’ensemble des grands enjeux économiques, sociaux et culturels.

Autant dire que nous ne pouvons nous passer d’aucune voix, d’aucune pensée, d’aucune idée, d’aucune initiative pour travailler à résoudre ces conflits ; Pourtant, la place des femmes dans la construction de la paix n’est pas encore acquise. On fait le point sur cette question.

De tout temps, les femmes…

Il n’est pas rare d’entendre que si les femmes ont été renvoyées dans les marges des livres d’histoire (le fameux Effet Matilda), c’est parce qu’elles n’ont pas participé aux guerres et conquêtes qui marquent la chronologie des… « Grands hommes » ! Mais c’est une erreur historiographique.

Les dernières recherches en paléontologie nous permettent de penser que les femmes de la préhistoire avaient une vie très similaire à celle des hommes, et qu’elles étaient très probablement chasseuses et guerrières autant que cueilleuses et potières. Les traces laissées par l’Antiquité nous présentent aussi des cheffes de troupe (comme Boadicée), des Amazones en expédition (comme Eurypyle),  des reines et impératrices engagées (comme Artémise ou Agrippine). Le Moyen-Âge nous lègue la figure de Jeanne d’Arc en Europe, les femmes samouraïs au Japon. La Renaissance a été marquée par son lot de « femmes en armes ».

Les femmes disparaissent quasiment des corps de combat à l’époque des Lumières et plus encore dans le siècle bourgeois qui installe un ordre social séparant fermement les rôles et les espaces des hommes et ceux des femmes. Depuis 1945, on trouve des femmes sur de nombreux terrains : au Moyen-Orient (en Israël, garçons comme filles font leur service et sont susceptibles d’être appelé·e·s), au Kurdistan, en Ukraine… Et puis dans les faits, partout où le front n’est plus distingué de l’arrière, quand tout espace de vie devient zone de guerre, les femmes comme les hommes sont sur le terrain.

Mais les femmes en guerre, ce ne sont pas que celles qui sont au combat, ce sont aussi les femmes de l’arrière. Celles qui travaillent à l’effort de guerre (on se souvient des munitionnettes de la Première guerre mondiale, massivement mobilisées dans les usines d’armement, tandis que leurs sœurs faisaient tourner le pays malgré tout en prenant les « métiers d’hommes » tandis que ceux-ci étaient au front ou au cimetière). Ce sont aussi les femmes stratèges : d’une Catherine de Médicis régnant pendant les Guerres de religion à une Hillary Clinton pilotant les opérations de traque de Ben Laden en passant par ces ministres de la défense et/ou des armées (rien qu’en France : Michèle Alliot-Marie, Sylvie Goulard, Florence Parly, … Et elles ne sont pas les seules à l’échelle de l’Europe, ni du monde)…

Épargnées (voire émancipées) par les guerres ?

L’histoire retient volontiers que les guerres déciment les populations masculines. Le célèbre livre de Marie Laparcerie, Comment trouver un mari après la guerre ?, paru en 1915, témoigne bien de cette problématique de « mâles manquants » qui met en tension la  démographie des nations. On parle dans les années 1920 de « contingents de veuves blanches », ces « veilles filles » qui ne trouvent pas à se marier… Ce qui oblige de fait, les gouvernements à donner des droits aux femmes célibataires : étudier, travailler, gérer des entreprises, ouvrir un compte en banque (ce qui ne sera permis que bien plus tard aux femmes mariées).

Mais cela n’est pas sans inspirer des réflexes réactionnaires, oscillant entre misogynie scientiste (on s’attache par exemple entre les deux guerres, à apporter la preuve que les femmes sont biologiquement moins capables que les hommes… le neurologue Möbius et l’anthropologue Le Bon consacrent une bonne part de leurs recherches à la démonstration de la « débilité » – sic ! – des femmes) et virilisme inquiet de voir la féminisation des sociétés annoncer leur déclin. Aussi, en même temps que les guerres peuvent accélérer des dynamiques d’émancipation des femmes, elles produisent aussi des retours de bâtons patriarcaux d’une violence parfois extrême.

L’un des signes les plus dramatiques de cet effet « backlash » des guerres sur la condition des femmes est l’usage du viol comme arme de guerre. Partout à travers le monde et en toutes époques, l’odieuse pratique s’observe pendant les conflits, procédant à part entière, selon les historien·ne·s (par exemple Georges Vigarello) des tactiques de conquête, entre déstabilisation de l’ennemi, prises de possession et conquêtes de territoire. Contrairement à une idée reçue, le viol de guerre ne répond pas à un besoin de soulager des pulsions sexuelles, mais correspond à un logiciel de domination des hommes entre eux, dont les femmes sont l’objet transactionnel.

Cela n’exclut pas les pratiques de « femmes de réconfort » : entre prostitution organisée pour offrir des « plaisirs » aux soldats et repos du guerrier impliquant « devoir conjugal », les guerres sont aussi le terreau d’une réaffirmation du droit des hommes à une sexualité dont les femmes sont prestataires, rémunérées ou non. Il faut encore inscrire au chapitre de cette colonisation du corps des femmes en temps de guerre les sombres heures de l’histoire qui ont célébré la Libération d’un pays en punissant celles qui avaient « couché avec l’ennemi » (de gré ou de force) : tondues, traquées, pendues, elles ont été sacrifiées en France en 1945, en Côte d’ivoire en 2002, au Soudan en 2015, sur d’autres terrains encore.

Quelle place à la table des négociations de paix ?

Les conséquences des guerres sur la condition des femmes sont de mieux en mieux connues et le message est porté, au niveau international par les institutions (l’ONU et ses organes UNICEF, ONU Femmes, UNIFEM, le groupe PeaceWomen…) et les ONG (CARE, WILPF, WWoW…) sur l’importance de les intégrer aux négociations de paix et aux programmes de reconstruction post-conflits. Ce message devrait avoir d’autant plus de poids que diverses études mettent en évidence que l’inclusion des femmes dans les projets de restauration et de maintien de la paix est corrélée à une meilleure durabilité des équilibres retrouvés.

La résolution 1325 adoptée par 192 pays membres de l’ONU consacre le principe de la participation des femmes aux démarches en vue de la résolution des conflits ainsi que celui de leur représentation dans les opérations de maintien de la paix. Cette même résolution prévoit qu’un chapitre spécifiquement dédié aux questions de genre soit à l’agenda des discussions concernant la reconstruction : il y va notamment de garantir que les crimes de guerre spécifiquement dirigées contre les femmes (dont le viol de guerre) soient reconnus et punis mais aussi d’œuvrer à la réduction (voire l’annulation) des effets des guerres en matière de recul des droits des femmes. Il s’agit aussi de faire des périodes de renouveau politique, économique et social que constituent les temps de reconstruction, une opportunité à part entière de faire progresser tous les droits humains, dont ceux des femmes.

L’application de cette résolution laisse hélas encore à désirer. Selon l’ONU, au cours des 30 dernières années, les femmes ont compté pour seulement 13% des négociateurs, 6% des médiateurs et 6% des signataires dans les processus de paix. 70% des accords de paix ont été signés par des groupes de mandataires exclusivement masculins. Plus inquiétant encore, la part d’accord contenant des dispositions relatives aux droits des femmes et aux questions de genre est en recul depuis plusieurs années (aujourd’hui, c’est 26%) après avoir atteint son pic (37% en 2015). Aucun accord de cessez-le-feu signé depuis 2018 ne contient de telles dispositions.

Les recherches sur le « genre des crises » (géopolitiques, politiques, sanitaires, environnementales…) convergent vers une même problématique de sexisme systémique : la permanence des écarts de traitement entre femmes et hommes, mesurable partout dans le monde à divers niveaux et sur des points de vigilance variés, fait le lit de l’exclusion brutale des femmes en période de tensions. Autrement dit, la seule chance que nous avons d’éviter que les temps durs apportent un décuplement des violences contre les femmes, c’est d’œuvrer en permanence, y compris en temps de paix, à faire de l’égalité des genres une réalité… Et une banalité !

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE